Résolution de l’AMM sur le transfert de tâches depuis la profession médicale
Adoptée par la 60ème Assemblée Générale de l’AMM, New Delhi, Inde, octobre 2009
et réaffirmée par la 212ème session du Conseil de l’AMM, Santiago, Chili, avril 2019
Le terme “transfert des tâches” est utilisé dans le secteur de la santé pour décrire une situation dans laquelle une tâche normalement assurée par un médecin est déléguée à un professionnel de santé dont le niveau de formation et d’expérience est moindre ou différent ou à une personne spécialement formée pour effectuer une tâche donnée sans posséder la formation médicale officielle. Le transfert des tâches existe à la fois dans les pays confrontés à une pénurie de médecins et dans ceux non confrontés à une telle pénurie.
La pénurie de travailleurs qualifies du fait de l’émigration ou d’autres facteurs est un facteur essential à l’origine du transfert des tâches. Dans les pays confrontés à une grave pénurie de médecins, on peut éventuellement recourir au transfert des tâches pour former des professionnels de santé ou des profanes à effectuer des tâches généralement considérées comme étant du ressort des médecins. La raison invoquée pour un tel transfert de tâches est que le service ne serait sinon pas fourni à ceux qui en ont besoin. Dans ces pays, le transfert des tâches cible les populations extrêmement vulnérables et vise à palier la pénurie de professionnels de santé ou de faire face à des questions sanitaires spécifiques telle que VIH. Dans les pays où la pénurie de médecins est dramatique, de nouvelles structures constituées de travailleurs sanitaires ont été mises en place. Toutefois, ces personnes assumant les tâches des médecins n’ont pas les vastes connaissances et l’expérience des médecins et doivent effectuer leurs tâches selon des protocoles sans avoir les compétences, l’expérience et le jugement professionnel pour prendre les bonnes décisions en cas de complications ou d’autres imprévus. Cette pratique peut s’avérer judicieuse dans des pays où sans le transfert des tâches, aucun soin ne serait prodigué mais devrait être étendue aux pays où la situation n’est pas la même.
Dans les pays où ne règne pas une grave pénurie de médecins, le transfert des tâches peut exister pour diverses raisons d’ordre social, économique, professionnel, parfois avec pour prétexte l’efficacité, le fait de vouloir faire des économies ou pour d’autres raisons non fondées. Les professions cherchant à étendre ou à protéger leur domaine traditionnel peuvent inciter ou empêcher le transfert des tâches. Il peut être instauré par les autorités sanitaires, par des professionnels de santé suppléants et parfois par les médecins eux-mêmes. Le transfert des tâches peut être le fait des progrès de la technologie médicale qui standardisent la mise en œuvre et l’interprétation de certaines tâches et permettent ainsi de faire effectuer ces dernières par des non professionnels de santé ou des assistants techniques en lieu et place des médecins. Cela s’est produit en principe à l’initiative ou en coopération étroite avec la profession médicale. Il faut toutefois reconnaître que la médecine ne peut jamais être considérée uniquement comme une discipline technique.
Le transfert des tâches peut avoir lieu au sein d’une équipe médicale déjà en place, avec pour effet une redistribution des rôles et des fonctions assurés par les membres de l’équipe. Il peut aussi générer de nouveaux personnels dont la fonction est d’assister d’autres professionnels de santé, notamment les médecins, et du personnel formé pour assurer des tâches spécifiques de manière autonome.
Même si le transfert des tâches peut parfois s’avérer nécessaire et parfois améliorer la qualité des soins cliniques, il comporte des risques importants. Parmi ces risques, le principal est la détérioration de la qualité des soins, en particulier si le jugement médical et la décision médicale sont délégués. Hormis le fait que le patient peut éventuellement être soigné par un professionnel moins expérimenté, certains critères de qualité sont aussi mis en cause y compris la raréfaction des contacts entre le patient et le médecin, un service fragmenté et inefficace, un manque de véritable suivi, un diagnostic et un traitement inadéquats et une incapacité à gérer les complications.
De plus, le transfert des tâches qui déploie du personnel d’assistanat peut éventuellement augmenter la demande en médecins. Les médecins auront de plus en plus de responsabilités en tant que formateurs et superviseurs ce qui leur laissera peu de temps pour leurs nombreuses autres tâches comme par exemple soigner des patients en direct. Ils peuvent aussi endosser davantage de responsabilité professionnelle et/ou juridique pour les soins prodigués par les travailleurs de santé sous leur supervision.
L’Association Médicale Mondiale exprime sa grande inquiétude sur le fait que le transfert des tâches puisse être instauré par les autorités sanitaires sans consultation des médecins et de leurs associations professionnelles.
RECOMMENDATIONS
De ce fait, l’Association Médicale Mondiale recommande que toutes les Associations Médicales Nationales soutiennent et promeuvent les directives suivantes:
- Les soins continus de qualité ainsi que la sécurité des patients ne doivent jamais être compromis et devraient constituer la base pour toutes réformes et législations se rapportant au transfert de tâches.
- Les propres tâches des médecins étant transférées, ces derniers ainsi que leurs associations professionnelles devraient être consultés et étroitement impliqués dès le départ dans toutes les considérations relatives à la mise en place du transfert des tâches, notamment dans la réforme de la législation et de la réglementation. Les médecins pourraient éventuellement étudier une nouvelle structure d’assistants sous leur autorité et en accord avec les principes de sécurité et dans le respect de la qualité des soins aux patients.
- Les normes d’assurance qualité et les protocoles thérapeutiques doivent être définis, mis en place et supervisés par les médecins. Les systèmes d’accréditation devraient être conçus et instaurés en simultané avec la mise en place du transfert des tâches afin d’assurer la qualité des soins. Il convient de définir clairement les tâches que seuls les médecins peuvent accomplir. La responsabilité du diagnostic et de la prescription devrait notamment être soigneusement étudiée.
- Dans les pays où règne une grave pénurie de médecins, le transfert des tâches devrait être envisagé comme une solution provisoire avec une stratégie de sortie bien définie. Toutefois, dans les pays où cette solution sera probablement de longue durée, il convient alors de mettre en place une stratégie durable.
- Le transfert des tâches ne devrait pas remplacer la création de systèmes de santé durables et fonctionnant à plein temps. Le personnel d’assistance ne devrait pas être engagé au détriment de professionnels de santé sans emploi ou sous-employés. Le transfert des tâches ne devrait pas remplacer l’éducation et la formation des médecins. L’objectif devrait être de former et d’employer des travailleurs plus qualifiés plutôt que de transférer des tâches à des travailleurs moins qualifiés.
- Le transfert des tâches ne devrait pas être entrepris ou considéré uniquement comme une mesure d’économie car les économies dégagées par le transfert des tâches restent à prouver et parce que les solutions justifiées par la baisse des coûts ont peu de chance de donner de bons résultats pour les patients. Les avantages économiques du transfert des tâches devraient être bien analysés afin d’évaluer les résultats en matière de santé, de rapport coûts/bénéfices et de productivité.
- Le transfert des tâches devrait être complété par des mesures d’incitation pour la préservation des professionnels de santé comme par ex. une augmentation de leur salaire et une amélioration de leurs conditions de travail.
- Les raisons sous tendant la nécessité de transférer les tâches variant d’un pays à l’autre et de ce fait des solutions convenant à un pays ne peuvent pas convenir automatiquement à d’autres.
- L’impact du transfert des tâches sur le fonctionnement global des systèmes de santé n’est pas clair. Il conviendrait d’évaluer l’impact du transfert des tâches au niveau du patient et au niveau de la santé ainsi que sur l’efficacité de la fourniture de soins. Lorsque le transfert des tâches est appliqué notamment en réponse à des questions de santé spécifiques, comme par ex. le VIH, il conviendrait d’évaluer régulièrement et de suivre de près l’ensemble du système de santé. Un tel travail est essentiel afin de s’assurer que ces programmes améliorent la santé des patients.
- Le transfert des tâches doit être étudié et évalué indépendamment, pas sous les auspices de ceux désignés pour assurer ou financer les mesures de transfert des tâches.
- Le transfert des tâches n’est qu’une réponse à la pénurie de main d’œuvre dans le secteur de la santé. D’autres méthodes comme par ex. le fait de travailler en collaboration ou en équipe devraient être parallèlement développées.et considérées comme la référence absolue. Le transfert des tâches ne devrait pas remplacer la création d’équipes de santé solidaires et interactives, coordonnées par un médecin où chaque membre peut apporter sa propre contribution aux soins prodigués.
- Pour assurer le succès d’un travail en collaboration, il faut améliorer la formation au leadership et au travail d’équipe. Chacun doit bien comprendre ce pour quoi l’autre est formé et ce qu’il est capable de faire. De même, chacun doit savoir de quoi il est responsable. Tout le monde doit accepter d’utiliser une terminologie bien précise.
- Le transfert des tâches devrait être précédé par une étude, une analyse et une discussion systématique des besoins, des coûts et des bénéfices potentiels. Il ne devrait pas être instauré uniquement en réaction à d’autres évolutions dans le système de santé.
- Une recherche doit être conduite afin d’identifier les modèles de formation éprouvés. Le travail devra être aligné sur divers modèles actuellement en place. La recherche devrait également s’axer sur la collecte et le partage des informations, des preuves et des résultats. La recherche et l’analyse doivent être approfondies et les médecins doivent être impliqués.
- Lorsque le cas s’y prête, les Associations Médicales Nationales devraient coopérer avec les associations d’autres professionnels de santé pour établir les infrastructures inhérentes au transfert des tâches. L’AMM devra envisager d’établir une structure pour le partage des informations sur cette question au sein de laquelle les membres pourront discuter des évolutions dans leur pays et des conséquences sur les soins.