Prise de Position de l’AMM sur les agents chimiques anti-émeutes
Adoptée par la 66ème Assemblée Générale de l’AMM, Moscou, Russie, Octobre 2015
PREAMBULE
Les armes chimiques sont depuis longtemps un sujet de préoccupation. Malgré cela, on a utilisé massivement les gaz toxiques au cours de la première guerre mondiale ce qui donné lieu à un appel du Comité International de la Croix Rouge (CICR) en février 1918 pour un arrêt de leur utilisation.
Ont alors vu le jour la convention sur les armes biologiques et à toxines en 1972 (CABT) et la convention pour l’interdiction des armes chimiques (CIAC) de 1993.
Tous les pays au monde sauf six ont signé et ratifié la CIAC, et deux de plus l’ont signée mais non encore ratifiée. C’est donc une convention presque universellement acceptée.
Les conventions interdisent la mise au point, la production et le stockage des armes chimiques en plus de leur utilisation durant les guerres et demandent des mesures pour démanteler ou détruire les stocks existants. La CIAC autorise cependant le recours à des produits chimiques spécifiques pour faire appliquer les lois nationales et contrôler les émeutes. Cela signifie que les Etats pourraient détenir des stocks de certains agents. Les agents chimiques anti émeutes ne peuvent toutefois pas être utilisés pour des guerres ; l’exclusion est passée dans le droit coutumier et leur utilisation est donc permise uniquement dans le cadre national.
Même s’il existe un intérêt académique et militaire pour ce que l’on appelle souvent les armes non létales, l’incidence de la morbidité et de la mortalité liée à l’utilisation des armes n’est pas un critère retenu pour l’interdiction. Une approche à plusieurs niveaux basée sur les degrés de létalité d’armes spécifiques est contraire à la philosophie des deux conventions.
En cas d’importants troubles publics et de coups d’état ou autres, les gouvernements peuvent hélas décider d’employer des agents chimiques anti émeutes. Même s’ils ne violent pas les principes de la CIAC, leur emploi peut toujours occasionner des problèmes médicaux, juridiques et éthiques.
Les agents chimiques anti émeutes sont conçus pour dissiper les émeutiers et ne devraient donc pas causer des blessures directes persistantes ou des morts. Tout comme les autres agents, la manière dont ils sont utilisés déterminera la dose d’exposition. Leur capacité à chasser les manifestants pour réduire l’exposition peut aussi avoir un impact. On sait que les facteurs individuels dont la santé en général et l’âge influent sur la réaction d’un individu exposé à l’agent chimique.
Des agents chimiques tels que les gaz lacrymogènes libérés dans un petit espace clos exposeront les personnes à des doses bien plus fortes que celles normalement libérées au cours des émeutes et génèreront une plus forte morbidité et potentiellement la mort.
Les agents chimiques anti émeutes utilisés abusivement provoquent de graves dommages ou la mort des manifestants, exposent les individus à des doses excessives ou sont utilisés pour réprimer les manifestants. Ils peuvent conduire à une violation des droits humains touchant les personnes concernées, notamment le droit à la vie (article 3), le droit à la liberté d’expression (article 19) et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques (article 20) de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
Les gouvernements autorisant le stockage et l’utilisation de tels agents par leur police et leurs services de sécurité sont priés de réfléchir aux conséquences fatales de leur utilisation. Il est demandé aux gouvernements de veiller à une utilisation correcte minimisant les risques de forte morbidité et de mortalité.
RECOMMANDATIONS
- L’AMM reconnaît que l’utilisation inappropriée des agents chimiques anti émeutes met en danger la vie des personnes ciblées et expose les gens autour, s’apparentant ainsi à une violation potentielle de leurs droits humains, notamment le droit à la vie, le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques comme stipulé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme;
- Lorsque des agents chimiques anti émeutes sont utilisés, l’AMM exhorte les Etats à le faire d’une façon appropriée afin de minimiser le risque de graves dommages pour les personnes et d’interdire leur usage en présence de populations vulnérables telles que les enfants, les personnes âgées ou les femmes enceintes ;
- L’AMM insiste sur le fait que les agents chimiques anti émeutes ne devraient jamais être utilisés dans des espaces clos où les concentrations chimiques peuvent atteindre des niveaux dangereux et où les personnes ciblées ne peuvent se dégager des zones où ces agents sont très concentrés.
- L’AMM insiste pour que les Etats forment la police et les autres services de sécurité sur l’utilisation sûre et légale des agents chimiques anti émeutes afin de minimiser les risques de dommages quand ils sont employés. Cela doit inclure l’évacuation rapide de tout individu apparemment souffrant d’une forte exposition, le non ciblage des personnes et la non utilisation excessive de l’agent ;
- L’AMM insiste pour que les Etats pénalisent les individus qui font un abus excessif des agents chimiques anti émeutes et qui mettent délibérément en danger la vie des personnes et leur sécurité par l’utilisation inadéquate d’agents. De telles utilisations excessives menant à de graves dommages physiques ou à la mort des individus devraient faire l’objet d’enquêtes par des experts indépendants.
- L’AMM demande un accès libre et protégé du personnel de santé afin qu’il puisse remplir sa mission de secours des blessés comme stipulé dans la « Déclaration de l’AMM sur la protection des personnels de santé dans des situations de violence ».
- Compte tenu des graves difficultés et risques pour la santé et la vie liés à l’utilisation de tels agents chimiques anti émeutes, l’AMM recommande que les Etats s’abstiennent de les utiliser dans toutes circonstances.