Prise de Position de l’AMM sur le Conflit d’Intérêts
Adoptée par la 60e Assemblée Médicale Mondiale, New Delhi, Inde, Octobre 2009
et revisée par la 201e Session du Conseil de l’AMM à Moscou, Russie, Octobre 2015
PREAMBULE
1. Cette politique vise à identifier les domaines où un conflit d’intérêts peut surgir au cours de l’exercice quotidien de la médecine et à aider les médecins à résoudre de tels conflits, dans le meilleur intérêt de leurs patients. Un conflit d’intérêts se produit lorsque le jugement professionnel concernant les soins à apporter à un patient est influencé de manière indue par des intérêts secondaires.
2. Dans certains cas, il peut suffire de reconnaître qu’un conflit réel ou potentiel existe. Dans d’autres cas, il peut être nécessaire de prendre des mesures spécifiques pour résoudre le conflit. Certains conflits d’intérêts sont inévitables et les conflits d’intérêt en médecine ne sont pas intrinsèquement contraires à l’éthique. C’est la manière dont ils sont traités qui est essentielle.
3. Au delà de l’exercice clinique de la médecine et de la délivrance de soins, les médecins assument traditionnellement différentes fonctions et poursuivent divers autres intérêts. Parmi ces intérêts, la plupart louables et bénéfiques pour la société, figurent la participation à la recherche, l’éducation des futurs médecins ou la formation des médecins en exercice ainsi que des responsabilités administratives ou des fonctions de direction. Le secteur de la médecine ayant attiré des intérêts privés, il arrive que des médecins mettent leurs compétences également au service de ces intérêts, en occupant des postes de consultants (et parfois d’employés) dans des entreprises du secteur privé.
4. Même si la participation des médecins dans bon nombre de ces activités sera en fin de compte bénéfique pour le public, la priorité du médecin demeure la santé et le bien-être de ses patients. Les autres intérêts ne devraient pas entrer en conflit avec cette obligation première ou influencer les décisions cliniques (même de manière potentielle).
5. Tous les médecins ont le devoir moral d’analyser leur propre comportement dans l’optique d’éventuels conflits d’intérêts même si les conflits n’entrent pas dans le type d’exemples ou de situations traités dans ce document. Lorsqu’ils ne sont pas reconnus, les conflits d’intérêts peuvent sérieusement miner la confiance des patients dans la profession médicale et dans le praticien en particulier.
6. Les médecins peuvent éventuellement souhaiter profiter eux-mêmes de ressources supplémentaires telles que les sociétés de médecine, les associations médicales nationales ou les instances de contrôle. Ils devraient connaître dans ce cas la réglementation et les lois nationales en vigueur
RECOMMANDATION
Recherche
7. Les intérêts du clinicien et du chercheur peuvent ne pas être les mêmes. Si la même personne assume les deux fonctions, comme c’est souvent le cas, le conflit potentiel devrait être réglé en mettent en place des mesures appropriées pour protéger les patients, y compris en informant ces derniers du conflit potentiel.
Comme mentionné dans la Déclaration d’Helsinki:
7.1 La Déclaration de Genève de l’Association Médicale Mondiale engage les médecins dans les termes suivants : « La santé de mon patient sera mon premier souci » et le Code international d’éthique médicale énonce que « le médecin devra agir uniquement dans l’intérêt de son patient lorsqu’il lui procure des soins qui peuvent avoir pour conséquence un affaiblissement de sa condition physique ou mentale ».
7.2 La Déclaration d’Helsinki stipule que “Si l’objectif premier de la recherche médicale est de générer de nouvelles connaissances, cet objectif ne doit jamais prévaloir sur les droits et les intérêts des personnes impliquées dans la recherche.”
8. La recherche devrait être conduite avant tout pour faire progresser la science médicale. Un médecin ne devrait jamais faire passer ses intérêts financiers avant le bien-être de son patient. Les intérêts des patients et l’intégrité scientifique devraient être prioritaires.
9. Il faut informer de l’ensemble des relations et intérêts matériels du chercheur-médecin les éventuels participants à une recherche les comités d’éthique de la recherche, les instances de contrôle et de régulation concernées, les revues médicales, les participants à une conférence et le centre médical où est menée la recherche.
10. Tous les essais devraient être enregistrés et figurer dans un registre des recherches accessible au public
11. Un contrat clair devrait être signé par toutes les parties, y compris les sponsors, les chercheurs et les participants au programme, avec un minimum de clarifications :
– rémunération financière pour le chercheur-médecin (qui ne doit pas excéder la perte financière liée au non exercice de son activité normale de médecin)
– le propriétaire des résultats de la recherche (qui seront détenus par le chercheur)
– le droit du chercheur de publier des résultats négatifs,
– Le droit du chercheur de fournir des informations aux personnes participant aux essais à tout moment en cours d’étude.
12. Les chercheurs-médecins devraient exercer un contrôle, avoir un accès complet à toutes les données des essais et refuser les clauses de non divulgation.
13. Indépendamment des résultats de la recherche, les chercheurs-médecins devraient veiller à ce que la présentation ou la publication des résultats ne soit pas indûment retardée ou bloquée.
14. Des primes ne devraient pas être acceptées pour avoir fourni le nom des participants potentiels à la recherche et les informations sur les patients ne devraient pas être transmises sans le consentement des patients, sauf si la réglementation ou les instances de contrôle l’imposent.
15. Tout dédommagement reçu des sponsors des essais ne devrait pas excéder la perte financière liée au non exercice de son activité normale de médecin et devrait être à la hauteur des efforts du médecin menant la recherche. Lorsque le recrutement demande une grande implication et du temps, une rémunération complémentaire peut être envisagée pour dédommager le chercheur clinicien ou l’institution en particulier pour les efforts et le temps consacrés au recrutement de participants à la recherche. Des bonus progressifs versés dans le but d’augmenter le nombre de participants à la recherche ne devraient pas être acceptés.
16. Les chercheurs-médecins devraient refuser d’étudier des demandes de subvention ou des soumissions d’articles de recherche de la part de collègues ou de concurrents si leurs relations risquent d’influencer leur jugement sur le dossier.
17. Des paiements ou des dédommagements de quelque nature que ce soit ne devraient pas être liées aux résultats des essais cliniques. Les chercheurs-médecins ne devraient pas avoir d’intérêts financiers dans une entreprise subventionnant un essai ou un produit étudié si ces intérêts risquent de varier positivement ou négativement en fonction des résultats de l’essai ; il ne devrait pas y avoir d’enjeu financier direct pour eux lié aux résultats de l’essai. Ils ne devraient pas acquérir, acheter ou vendre des actions de l’entreprise pendant la période des essais et jusqu’à ce que les résultats aient été publiés. Ces consignes pourraient ne pas s’appliquer aux médecins qui ont mis au point un médicament mais qui ne prennent pas part à la procédure de recrutement aux essais.
18. Les chercheurs-médecins devraient participer uniquement aux essais cliniques qui entrent dans le champ de leurs compétences médicales et devraient avoir une formation adéquate sur la conduite d’une recherche et sur les principes de l’éthique de la recherche.
19. Les droits d’auteur devraient être définis avant le début de l’essai et devraient être basés sur une importante contribution scientifique.
Les essais ne devraient pas interrompus uniquement pour des intérêts financiers
Education
20. Les besoins éducatifs des étudiants et la qualité de leur formation doivent être jaugés en fonction des meilleurs intérêts des patients. En cas d conflit d’intérêts, les intérêts du patient sont prioritaires.
21. Tout en reconnaissant que les élèves en médecine ont besoin d’une expérience sur des patients réels, les enseignants-médecins devraient veiller à ce que ces élèves soient supervisés à la hauteur de leur niveau de formation.
22. Les patients devraient savoir qu’ils peuvent éventuellement être soignés en partie par des étudiants et des médecins en formation, y compris pour les procédures et les actes chirurgicaux, et devraient pouvoir donner ou non leur consentement éclairé.
23. Les patients devraient connaître l’identité et le niveau de formation des personnes qui participent à leurs soins.
24. Le refus du patient de se faire soigner par du personnel en formation ne devrait pas affecter l’importance et la qualité des soins qu’il recevra ensuite.
Auto-prescriptions et honoraires partagés
25. Toutes les prescriptions et ordonnances (qu’il s’agisse de biens ou de services spécifiques) devraient reposer sur une évaluation objective de la qualité du médecin (ou du service) auquel le patient est adressé.
26. Le fait pour des médecins d’adresser des patients à des établissements médicaux (par ex. des laboratoires) où ils ne sont pas professionnellement actifs mais où ils ont un intérêt financier s’apparente à de l’auto-prescription. Potentiellement cette pratique peut influencer beaucoup les décisions médicales et n’est pas jugée acceptable à moins que la communauté en question n’ait besoin d’un établissement et qu’il n’y en ait pas d’autres (par ex. dans les petites communautés rurales). Le médecin dans ce cas ne devrait pas percevoir davantage d’argent qu’un investisseur classique.
27. Des commissions (ou partage des honoraires) existent lorsqu’un médecin perçoit de l’argent pour avoir adressé un patient à un praticien donné ou avoir prescrit un service spécifique donnant lieu au versement d’honoraires. Cette pratique est inadmissible.
Cabinets médicaux
28. Pour des raisons de commodités pour les patients, de nombreux cabinets médicaux sont situés à proximité d’autres établissements médicaux comme par ex. des laboratoires, des pharmacies et des opticiens. Le médecin ne devrait pas recevoir de rémunération financière ou d’autres avantages pour avoir adressé des patients à ces établissements ou pour être installé à proximité de ces derniers. Un immeuble appartenant à un médecin ne devrait pas être loué à des prix supérieurs ou inférieurs à ceux du marché.
29. Les produits non médicaux (ceux n’ayant rien à faire avec la santé des patients ou l’exercice de la médecine) et des produits médicaux scientifiquement non validés scientifiquement ne devraient pas être vendus dans un cabinet médical. Si des produits médicaux scientifiquement validés sont vendus en cabinet médical, leur prix de vente devrait se limiter aux coûts engendrés pour se les procurer et les produits devraient être proposés d’une manière telle que le patient ne se sent pas contraint de les acheter.
Conflits entre entreprises/établissements
30. Les établissements de santé en particulier sont de plus en plus sujets à de nombreuses pressions menaçant plusieurs de leurs missions et beaucoup de centres médicaux académiques ont commencé à rechercher d’autres sources de revenus. Il faudrait instaurer des politiques veillant à ce que ces nouvelles sources ne soient pas en conflit direct avec les valeurs et la mission de l’établissement (par ex. financement des écoles de médecine par l’industrie du tabac).
31. Les organisations et les institutions médicales (y compris mais sans s’y limiter, les écoles de médecin, les hôpitaux, les associations médicales nationales et les centres de recherches) devraient établir et si possible appliquer des directives régissant les conflits d’intérêts, à l’attention de leurs employés et de leurs membres.
32. Les chercheurs-médecins et autres tireront profit de la création de directives officielles régissant les conflits d’intérêts. Elles les aideront à faire connaître et à identifier clairement les situations où en raison d’un éventuel conflit, ils devraient refuser de participer à une étude ou à une autre activité.
33. Les établissements de santé académiques devraient fixer des limites précises entre les comités chargés des investissements, le transfert technologique et la branche recherche de l’établissement.
34. Des politiques écrites devraient contenir des directives sur la divulgation ou le refus de participation à une procédure décisionnaire, à l’attention des personnes qui sont en situation conflictuelle parce qu’une recherche est sponsorisée, parce qu’il existe des contrats de consultants, des holdings privés ou des accords de licence.