Déclaration de Reykjavik de l’AMM – Considérations éthiques relatives à l’utilisation de la génétique dans les soins de santé


Adoptée par la 56e Assemblée Médicale Mondiale, Santiago, Chili, Octobre 2005,
révisée à la 60e Assemblée générale de l’AMM, New Delhi, Inde, Octobre 2009
et 
par la 70e Assemblée Générale, Tbilissi, Géorgie, Octobre 2019

 

PREAMBULE

La génétique contribue à une meilleure compréhension des causes, des développements, des classifications et des traitements des pathologies. L’utilisation de la génétique est en plein essor, passant en peu de temps de son emploi dans le traitement du cancer et l’identification de maladies monogéniques et à la détermination de risques de pathologies multifactorielles et à la manipulation de gènes individuels. Ainsi, l’utilisation de la génétique crée et créera de plus en plus de valeur, à la fois au niveau individuel et au niveau sociétal. L’utilisation d’informations génétiques relatives à des personnes soulève cependant des questions de confidentialité, d’intimité et présente des risques de détresse psychologique, de stigmatisation et de discrimination.

La présente déclaration vise à formuler des recommandations sur un emploi de la génétique en médecine qui soit à la hauteur des défis éthiques en jeu. Elle s’attache principalement à l’utilisation de la génétique dans la prestation de soins de santé. Le recueil, le stockage et l’emploi de données génétiques au-delà des soins personnels apportés aux patients doivent être conformes aux principes énoncés dans la déclaration de l’AMM sur les considérations éthiques concernant les bases de données de santé et les biobanques, dite déclaration de Taipei. L’utilisation de la génétique dans la recherche médicale impliquant des sujets humains, y compris la recherche sur des données et des échantillons biologiques humains non anonymes, doit être conforme aux principes énoncés dans la déclaration d’Helsinki de l’AMM, relative aux principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains.

La présente déclaration doit être prise dans son ensemble et chacun des paragraphes qui la constituent ne saurait être interprété isolément des autres paragraphes. Il convient de mettre à jour cette déclaration au fur et à mesure des avancées réalisées dans le domaine de la génétique.

Les informations génétiques présentent des caractéristiques significatives d’un point de vue éthique. Prises séparément, chacune des ces caractéristiques peut également se retrouver dans d’autres types d’informations de santé. Cependant, l’association de ces caractéristiques rend les informations génétiques particulièrement sensibles. Cette sensibilité, ajoutée à l’intérêt évident que manifestent un grand nombre d’acteurs différents pour les informations génétiques, rappelle combien il est important de respecter les principes fondamentaux de l’éthique médicale, notamment le droit du patient à l’autonomie, à la confidentialité, à l’intimité ainsi que le droit à bénéficier de la production, du stockage, de l’utilisation ou du partage d’informations génétiques.

Parmi celles qui sont significatives d’un point de vue éthique, les informations les plus cruciales sont :

  • les informations génétiques qui permettent d’identifier une personne ;
  • les analyses génétiques qui peuvent produire des informations nombreuses et détaillées sur une personne ;
  • les analyses génétiques qui pourraient conduire à de nouvelles découvertes.
  • Les informations produites par l’analyse génétique n’ont pas encore livré tous leurs secrets.
  • Les informations génétiques relatives à une personne ne peuvent pas être totalement anonymisées et les informations génétiques anonymisées peuvent être réidentifiées.
  • Les données génétiques contiennent des informations qui ne concernent pas seulement la personne qui a subi le test mais aussi les personnes qui lui sont génétiquement apparentées.
  • Le test génétique d’une personne peut exiger la consultation d’informations relatives à des soins de santé subis par des personnes qui lui sont génétiquement apparentées (des membres de sa famille) ou le test génétique de ces personnes.

 

PRINCIPES ÉTHIQUES

Bénéfice pour le patient

Le test génétique dans le cadre de la prestation de soins de santé doit avoir pour objectif premier de bénéficier au patient testé.

Pertinence

Un test génétique ne doit pas être de portée plus large que son objectif ne l’exige.

Consentement éclairé

  1. Tout test génétique doit être réalisé après obtention du consentement éclairé du patient ou de son tuteur légal. Un test génétique visant à dépister des prédispositions à une pathologie ne doit être effectué sur un enfant que s’il existe des indications cliniques claires qu’obtenir les résultats de ce test bénéficierait à l’enfant.
  2. Le processus d’obtention du consentement éclairé du patient suppose la fourniture d’informations exactes, adéquates et compréhensibles par lui, contenant les éléments suivants :
    • l’objectif, la nature et les bénéfices escomptés du test ;
    • les risques, effets indésirables et limites du test ;
    • la nature et la signification des informations devant être obtenues grâce au test ;
    • les procédures relatives à la restitution des informations génomiques, y compris les observations secondaires et les découvertes futures ;
    • les possibilités ouvertes selon les résultats obtenus, notamment les éventuels traitements ;
    • la manière dont les résultats du test, les données et les échantillons biologiques seront conservés (comment, où, pendant combien de temps), et les personnes qui peuvent avoir accès aux résultats actuels et futurs ;
    • les éventuels usages secondaires des informations obtenues par le biais du test ;
    • les mesures qui seront prises pour préserver l’intimité et l’autonomie du patient, en particulier les mesures relatives à la confidentialité et la sécurité des données le concernant ;
    • les procédures de gestion des résultats ayant des conséquences pour les personnes qui sont génétiquement apparentées à la personne testée ;
    • le cas échéant, l’utilisation commerciale de ces résultats et le partage des éventuels bénéfices y afférents, les questions relatives à la propriété intellectuelle et le transfert de données ou d’échantillons à des tiers.

Découvertes supplémentaires (découvertes secondaires et fortuites)

  1. Un test génétique peut conduire à la découverte d’informations qui n’étaient pas l’objet principal du test, dites observations secondaires ou fortuites. Il convient que les procédures par lesquelles seront traitées ces informations soient déterminées en amont du test et communiquées au patient dans le cadre du processus d’obtention de son consentement éclairé.
  2. Les principes relatifs au traitement des observations secondaires ou fortuites doivent tenir compte : 
    • des préférences du patient concernant le traitement des découvertes secondaires ou fortuites ;
    • de la signification de ces observations secondaires et fortuites pour la santé ou d’autres intérêts du patient ;
    • la signification des observations secondaires ou fortuites pour la santé ou d’autres intérêts d’autres personnes, génétiquement apparentées au patient ;
    • la validité scientifique des observations secondaires ou fortuites ;
    • la solidité des preuves d’une corrélation entre les observations secondaires ou fortuites et des risques pour la santé du patient ;
    • la mesure en laquelle ces observations secondaires ou fortuites sont des variants actionnables, sur le plan médical ou autre.

 Conseil génétique

  1. Tout test génétique, traitement fondé sur la génétique ou interprétation des résultats d’un test génétique doit systématiquement être accompagné d’un conseil approprié en la matière. Ces conseils doivent permettre au patient de prendre des décisions informées et conformes à ses valeurs et intérêts. Ces conseils ne doivent pas être orientés par les valeurs personnelles du conseiller. Le droit de la personne de n’être pas testée doit être protégé. Si la personne a été testée, elle ne saurait être obligée d’agir consécutivement aux résultats du test.
  2. Les étudiants en médecine et les médecins devraient recevoir une formation au conseil génétique, notamment au conseil relatif à un diagnostic présymptomatique.

Confidentialité

Comme tous les dossiers médicaux, les informations issues d’un test génétique ou d’une thérapie génique doivent demeurer strictement confidentielles et ne sauraient être communiquées à des tiers sous forme identifiable sans le consentement de la personne testée. Les tiers à qui les résultats pourraient être, sous certaines conditions, communiqués sont définis au paragraphe 15.

Information des tiers

Dans le cas où les résultats d’un test pourraient avoir des conséquences pour des tiers, comme des proches, la personne testée doit être encouragée à discuter des résultats du test avec ces tiers. Dans les cas où la non-divulgation des résultats du test causerait un péril prévisible grave et inévitable, hormis par la divulgation de ces résultats, et dont les conséquences seraient pires que la divulgation des résultats, le médecin peut révéler les informations nécessaires à des tiers sans le consentement du patient, mais il convient qu’il aborde d’abord cette question avec ledit patient. Si le médecin peut consulter un comité d’éthique, il serait préférable qu’il le fasse avant de révéler des informations à des tiers.

Protection des données

Le recueil, le stockage et l’emploi de données génétiques suppose un degré élevé de protection des données.

Discrimination

Aucune discrimination ne saurait être opérée contre une personne ou un groupe sur la base de son ou de leur patrimoine génétique, notamment dans le domaine des droits humains, de l’emploi ou des assurances. Toute personne ayant subi un test génétique ou une thérapie génique, ainsi que toute personne dont les informations génétiques pourraient être déduites, doivent être protégées de toute discrimination. À cet égard, il convient d’accorder une attention particulière à la protection des personnes et des groupes vulnérables.

Coûts du test

La décision d’intégrer à un traitement médical une analyse génétique peut supposer un coût significatif pour le patient et le système de santé. Une telle décision doit donc être fondée sur la perspective que le coût de l’analyse sera compensé par le bénéfice qu’en tirera le patient.

Fiabilité et limites

  1. L’identification de gènes liés à une pathologie a conduit à une hausse du nombre de tests, d’analyses et de traitements génétiques disponibles, dont la variété et la complexité augmentent également. C’est pourquoi il convient d’assurer soigneusement leur fiabilité, leur exactitude et leur qualité et d’informer les patients de leurs limites.
  2. Le bénéfice d’un test génétique pour une personne peut dépendre de la disponibilité des informations relatives à la population dont le variant a été identifié. Les professionnels de la médecine doivent garder à l’esprit la portée et les limites des données issues de la génétique et des informations de santé stockées dans les bases de données utilisées pour la prestation de services de tests génétiques cliniques.

Tests destinés au grand public

Les tests génétiques proposés directement aux consommateurs à des fins médicales doivent être conformes aux mêmes normes techniques, professionnelles, juridiques et éthiques que les tests destinés aux laboratoires certifiés ainsi qu’aux recommandations figurant dans la présente déclaration. Les fournisseurs de ces tests destinés au grand public, notamment, doivent communiquer des informations adéquates, exactes et compréhensibles au sujet de la fiabilité et des limites de leurs services.

Utilisation clinique des données issues de la recherche

Dans le cadre de projets de recherche qui supposent la réalisation d’un test génétique et lorsque le participant peut être identifié, ce dernier doit être informé de l’éventualité que des observations secondaires ou fortuites permettent de découvrir un risque grave pour sa santé. Si cette éventualité se produisait, il conviendrait de proposer un conseil génétique et une intervention médicale idoine audit participant.

Thérapie génique et manipulation génétique

La thérapie génique et la manipulation génétique recouvrent un ensemble de techniques utilisées pour manipuler les gènes liés à des pathologies. L’utilisation de ces techniques doit être conforme aux directives suivantes :

  • l’utilisation de la thérapie génique et de la manipulation génétique doit être conforme aux normes d’éthique médicale et de responsabilité professionnelle ;
  • il est indispensable de respecter l’autonomie du patient concerné et d’obtenir son consentement éclairé. Le processus d’obtention du consentement éclairé du patient devrait comprendre la description des risques associés à la thérapie génique et à la manipulation génétique, y compris le fait que le patient pourrait avoir à subir de multiples cycles de thérapie génique, le risque de réaction immunitaire et les éventuels problèmes associés à l’utilisation de vecteurs viraux et aux effets hors cible d’une thérapie génique ;
  • la thérapie génique et la manipulation génétique ne sauraient être entreprises qu’après une analyse approfondie des risques et des bénéfices attendus et une évaluation de l’efficacité probable de la thérapie comparée aux risques, effets secondaires, disponibilité et efficacité d’autres traitements ;
  • la manipulation génétique de cellules germinales présente des risques actuellement immaîtrisables. Elle ne devrait donc pas être utilisée. Ceci n’empêche cependant pas les tentatives de manipulation génétique ou d’autres recherches similaires.

Clonage

Le clonage désigne à la fois le clonage thérapeutique, c’est-à-dire le clonage de cellules souches d’une personne en vue de créer une copie saine d’un tissu malade à des fins de transplantation et le clonage reproductif, c’est-à-dire le clonage d’un être humain existant en vue de produire un double génétique de cet être humain. L’AMM est opposée au clonage reproductif d’êtres humains.

Déclaration
Bio-brevet, Brevet, Confidentialité, Consentement, Médecine prédictive, Pharmacocinétique, Propriété intellectuelle