Déclaration d’Édimbourg de l’AMM sur les conditions carcérales et la propagation de maladies transmissibles
Adoptée par la 52ème Assemblée générale de l’AMM, Édimbourg, Ecosse, octobre 2000
Révisée par la 62ème Assemblée générale de l’AMM, Montevideo, Uruguay, octobre 2011
et par la 73ème Assemblée générale de l’AMM, Berlin, Allemagne, octobre 2022
PRÉAMBULE
La déclaration de Lisbonne de l’AMM sur les droits du patient proclame que « toute personne a le droit de recevoir, sans aucune discrimination, des soins médicaux appropriés ».
La constitution de l’Organisation mondiale de la santé dispose que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ».
Les personnes privées de liberté (« les détenus ») devraient recevoir des soins de santé de même qualité que les personnes en liberté, puisqu’elles ont les mêmes droits que les autres personnes. Cela suppose le droit à un traitement humain et à des soins médicaux appropriés. Les normes de traitement des détenus font l’objet d’un grand nombre de déclarations et de directives des Nations unies, en particulier l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, dites les règles Nelson Mandela, lesquelles, dans leur version de 2015 sont complétées par les règles de Bangkok des Nations unies concernant le traitement des détenues.
Le terme « personnes privées de liberté » désigne toutes les personnes détenues quel que soit leur statut, des personnes placées en détention provisoire en attendant leur jugement aux personnes condamnées à une peine de prison.
Il incombe aux États de garantir le droit à la vie et à la santé des personnes privées de liberté. Cela suppose d’assurer aux détenus les soins nécessaires pour que la prison ne devienne pas un facteur déterminant des maladies transmissibles.
Les mêmes principes éthiques s’appliquent à la relation entre le médecin et les personnes privées de liberté qu’à la relation entre un médecin et tout autre patient. Cependant le cadre particulier de la prison peut mettre la relation médecin-patient relation sous tension, le médecin pouvant subir la pression des autorités, le médecin y étant hiérarchiquement subordonné à son employeur, à savoir l’autorité pénitentiaire et en raison de l’attitude générale de la société envers les personnes privées de liberté.
Au-delà de la responsabilité des États de traiter toutes les personnes privées de liberté avec le respect dû à leur dignité et à leur valeur en tant qu’êtres humains, la mise en œuvre adéquate des règles Nelson Mandela se justifie par d’importantes raisons de santé publique. La forte incidence de la tuberculose et d’autres maladies transmissibles parmi les détenus d’un grand nombre de pays prescrit de placer la santé publique parmi les priorités lors de la définition de nouveaux régimes carcéraux et de la réforme des systèmes pénaux et carcéraux existants.
Les personnes qui risquent l’emprisonnement font souvent partie des couches les plus vulnérables de la société. Elles peuvent avoir manqué de soins de santé avant leur placement en détention, voire se trouver dans un état de santé plus mauvais que de nombreux autres citoyens et présenter un fort risque d’intégrer la prison avec des problèmes de santé non dépistés, non diagnostiqués et non traités.
La surpopulation, le confinement de longue durée dans des espaces restreints, faiblement éclairés, mal chauffés et par conséquent mal ventilés et souvent humides sont fréquent dans les lieux de détention. Or toutes ces caractéristiques contribuent à la propagation des troubles de la santé et des maladies transmissibles. Lorsqu’à ces facteurs s’ajoutent le manque d’hygiène, une alimentation inadéquate et un accès limité à des soins de santé adaptés, les lieux de détention peuvent représenter un problème épineux de santé publique.
Maintenir des personnes privées de liberté dans des conditions qui les exposent à des risques médicaux substantiels constitue un grave écueil humanitaire. La manière la plus efficace et efficiente de réduire le risque de transmission des maladies est d’améliorer l’environnement carcéral.
Il incombe aux États d’allouer des ressources suffisantes pour assurer des conditions de détention dignes, assurer que les soins de santé en milieu carcéral soient adaptés à la taille et aux besoins de la population privée de liberté et de définir et mettre en place des stratégies de santé durables pour prévenir la transmission des maladies. L’organisation des soins de santé dans les prisons requiert une équipe de personnel soignant adéquate, capable, dans le cadre de sa mission essentielle de soin et de traitement des personnes placées en détention, de dépister et de traiter les maladies transmissibles.
La propagation de la tuberculose active au sein des populations carcérales et le développement de formes de tuberculose résistantes aux médicaments (tuberculoses multirésistante et ultrarésistante) souligné par l’Association médicale mondiale dans sa résolution sur la tuberculose, atteint une très forte prévalence et des taux d’incidence très élevés dans les prisons de certaines régions du monde. De même, la pandémie de Covid-19 a gravement touché les lieux de détention et des flambées ont été signalées dans le monde entier. D’autres pathologies, comme l’hépatite C et le sida, présentent des risques de transmission par le sang ou par l’échange de fluides corporels. La surpopulation carcérale est en outre propice à la propagation de maladies sexuellement transmissibles, tandis que l’usage de drogues injectables contribue à la propagation du sida et des hépatites B et C.
RECOMMANDATIONS
Rappelant sa déclaration de Lisbonne sur les droits du patient, l’Association médicale mondiale appelle tous les acteurs concernés à prendre les mesures nécessaires pour garantir aux personnes privées de liberté le meilleur état de santé qu’elles sont capables d’atteindre, et notamment :
les gouvernements et les autorités pénitentiaires et sanitaires
- à protéger les droits des personnes privées de liberté conformément aux différents instruments des Nations unies relatifs aux conditions de détention, en particulier les règles Nelson Mandela pour le traitement des détenus ;
- à allouer les ressources nécessaires aux soins de santé dans les lieux de détention, qui doivent être adaptés au nombre et aux besoins des personnes privées de liberté, y compris en finançant adéquatement des personnels de santé en effectifs suffisants ;
- à définir et à mettre en œuvre des stratégies sanitaires solides afin de créer un environnement carcéral sûr et sain, y compris par la vaccination, l’hygiène, le suivi et d’autres mesures de prévention de la propagation des maladies transmissibles ;
- à garantir que les personnes privées de liberté porteuses d’une maladies infectieuse soient traitées avec dignité et que leurs droits à des soins de santé soient respectés. En particulier, leur état de santé ne saurait justifier leur isolement sans un accès adéquat aux soins de santé et au traitement médical appropriés ;
- à assurer que les conditions de détention, à tout moment de la procédure judiciaire, de l’arrestation au rendu du jugement ou une fois la peine de prison prononcée, ne contribuent pas au développement, à l’aggravation ou à la transmission de maladies ;
- à assurer que le diagnostic et le traitement des maladies chroniques non transmissibles et des pathologies aiguës non transmissibles ou des blessures soit raisonnable et approprié, afin de ne pas ajouter un fardeau indu au personnel de santé ou de ne pas accroître le risque de propagation des maladies transmissibles par des détenus souffrant d’une maladie décompensée ou d’une blessure.
- à assurer que la planification et le suivi des soins font partie intégrante de la prestation de soins de santé en prison, en particulier en coordonnant les services de santé dans et hors les murs de la prison pour faciliter la continuité des soins et le suivi épidémiologique des patients lors de leur remise en liberté ;
- à assurer que l’état de santé des personnes soit examiné dans les 24 heures suivant leur entrée ou leur transfert dans un autre lieu de détention pour assurer la continuité des soins ;
- à éviter l’interruption des soins au sein de l’institution, notamment lorsque le détenu reçoit un traitement de substitution aux opiacés, en poursuivant le traitement prescrit.
- L’infection ou le risque de transmission ne saurait justifier un placement en détention. L’emprisonnement ne saurait constituer une manière efficace de prévenir la transmission de maladies infectieuses : au contraire, il favorise, par la peur, la dissimulation du diagnostic et par suite, la propagation de la maladie.
- à respecter l’autonomie et les responsabilités des médecins qui travaillent dans les prisons, qui doivent observer des principes d’éthique médicale pour protéger la santé des personnes privées de liberté ;
- à mener des enquêtes indépendantes et transparentes dans les établissements pénitentiaires pour éviter le refus de soins de santé aux détenus.
les Membres constituants de l’AMM et l’ensemble de la profession médicale
- à travailler avec les autorités locales et nationales, les autorités sanitaires et pénitentiaires pour faire de la santé, y compris la santé mentale, et des soins de santé en prison une priorité et adopter des stratégies permettant de créer un environnement carcéral sûr et sain ;
- conformément aux principes éthiques de la profession médicale, à encourager les médecins à signaler et à consigner toutes les défaillances de la prestation de soins de santé conduisant au mauvais traitement des personnes privées de liberté ;
- à soutenir et à protéger les médecins qui rencontrent des difficultés en raison de tentatives de dénoncer des défaillances de soins de santé dans des prisons ;
- à soutenir l’amélioration des conditions de détention et des systèmes pénitentiaires sur le plan de la santé des personnes privées de liberté.
les médecins travaillant en milieu carcéral
- à signaler aux autorités de santé et aux organisations professionnelles de leur pays toute défaillance dans la prestation des soins de santé, y compris de santé mentale, aux personnes privées de liberté et toute situation présentant un risque épidémiologique grave;
- à se conformer aux directives de santé publique nationales lorsqu’elles sont solides d’un point de vue déontologique, notamment en matière de signalement obligatoire des maladies infectieuses et transmissibles.