Déclaration de Washington de l’AMM sur les armes biologiques


Adoptée par la 53ème Assemblée générale de l’AMM, Washington 2002
modifications de formes apportées lors de la 164ème session du Conseil de mai 2003
réaffirmée par la 191ème session du Conseil, Prague, République Tchèque, avril 2012
révisée par la 74ème Assemblée générale de l’AMM, Kigali, Rwanda, octobre 2023

 

PREAMBULE

Les progrès rapides de la microbiologie, de la biologie moléculaire et du génie génétique ont créé des possibilités extraordinaires pour la recherche biomédicale et promettent des améliorations importantes de la santé humaine et de la qualité de vie. Toutefois, la prolifération de ces technologies donne aussi la possibilité de créer de nouveaux pathogènes, de nouvelles maladies, tout en simplifiant les méthodes de production d’armes biologiques. Les technologies nécessaires sont relativement bon marché et comme les outils de production sont similaires à ceux utilisés dans les laboratoires comme pour la fabrication de vaccins, elles sont faciles à obtenir. La possibilité de produire et de disperser efficacement des armes biologiques existe donc partout dans le monde, menaçant les gouvernements et mettant en danger les populations de la planète.

Les conséquences d’une attaque biologique seraient à la fois insidieuses et dévastatrices. Elles pourraient se poursuivre par la transmission secondaire et tertiaire de l’agent pathogène des semaines, des mois ou des années après l’épidémie initiale. Compte tenu de la facilité de déplacement et de la mondialisation toujours plus poussée des échanges, une flambée quelque part dans le monde pourrait menacer l’ensemble des pays. De nombreuses maladies aiguës graves survenant sur une courte période pourraient submerger les capacités des systèmes de santé mondiaux.

Les médecins et les autres personnels de santé, qui sont aux avant-postes de la lutte contre les souffrances humaines causées par des épidémies, seraient les premiers responsables de la prise en charge des victimes d’armes biologiques.

Les acteurs de la recherche biomédicale ont l’obligation morale et éthique d’envisager les implications de toute utilisation malveillante de leurs conclusions. La modification génétique délibérée ou involontaire de microorganismes pourrait créer des organismes plus virulents, résistants aux antibiotiques ou très stables dans l’environnement. La modification génétique de micro-organismes pourrait altérer leur immunogénicité, leur permettant ainsi d’échapper à l’immunité naturelle ou augmentée par un vaccin. Les progrès du génie génétique et des thérapies géniques peuvent permettre de modifier le système immunitaire de la population cible pour accroître ou réduire la sensibilité à un pathogène ou perturber le fonctionnement normal des gènes de l’hôte.

La lutte contre la prolifération et les mesures de maîtrise de l’armement peuvent réduire mais elles ne peuvent éliminer totalement la menace des armes biologiques. Il y a donc un besoin de créer et d’adhérer à un éthos mondialement accepté qui rejette la mise au point, la production, la possession et l’utilisation d’armes biologiques. La collaboration internationale est essentielle à l’obtention d’un tel consensus universel.

La Convention des Nations unies sur l’interdiction des armes biologiques (CABT) proscrit la mise au point, la production, l’acquisition, le transfert, l’accumulation et l’utilisation des armes biologiques ou à toxines. Ayant atteint une adhésion quasi universelle, la CABT constitue un élément central des efforts de la communauté internationale pour lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et a établi une norme robuste contre les armes biologiques.

Il incombe entre autres aux associations médicales et aux médecins de sensibiliser la population et les décideurs aux implications des armes biologiques et de rallier un soutien universel à la condamnation de la recherche, du développement ou de l’emploi de telles armes comme moralement et éthiquement inacceptable. Ils ont un rôle sociétal et éthique important à jouer pour plein exiger le respect de la CABT, réprouver l’utilisation d’armes biologiques, mettre en garde contre la recherche illicite ou contraire à l’éthique et atténuer les effets de l’emploi d’armes biologiques.

 

RECOMMANDATIONS

Reconnaissant la menace croissante que font peser les armes biologiques, l’AMM et ses membres constituants condamnent la mise au point, la production et l’utilisation de toxines et d’agents biologiques à des fins étrangères à la prophylaxie, à la protection et à la thérapie ou pour d’autres motifs pacifiques et formule les recommandations suivantes :

Renforcement de la préparation et des interventions en cas d’urgence sanitaire

Les gouvernements et les autorités nationales de santé devraient :

  1. élaborer une stratégie pour l’accès en temps utile et efficacement coordonné aux mesures de protection vitale contre de nouveaux pathogènes, quelle que soit leur origine pour toutes les populations à risque. Cette stratégie devrait comporter une capacité d’intensification pour assurer des soins de masse.
  2. conformément à la prise de position de l’AMM sur les épidémies et les pandémies, satisfaire les besoins essentiels, et notamment :
  • des investissements dans les systèmes de santé publics, y compris les ressources et les fournitures pour accroître la capacité à dépister, rechercher et contenir les flambées de maladies rares ou inhabituelles ;
  • un programme fonctionnel mondial de veille pour améliorer la réaction aux maladies infectieuses survenant naturellement et pour permettre leur détection précoce et la caractérisation des maladies nouvelles ou émergentes ;
  1. fournir à l’OMS les moyens appropriés de remplir son rôle de direction en vue d’une coopération internationale adaptée et la coordination de la veille et de la réaction face aux maladies infectieuses émergentes ;
  2. soutenir l’élaboration d’un instrument légalement contraignant pour l’OMS aux fins de la prévention, de la préparation et de l’intervention face aux pandémies qui intègre les principes d’équité et des droits humains ;
  3. mettre en place des formations adéquates et ciblées pour les professionnels de santé, les chefs de file dans la société civile et la population au sens large, ainsi que des programmes collaboratifs de recherche pour améliorer le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies ;
  4. élaborer des stratégies de communication pour informer les professionnels de santé et le grand public d’actes de bioterrorisme et de flambées de maladies infectieuses, mais aussi des services médicaux disponibles à l’échelon local ;
  5. financer la recherche et développement pour contrer les armes biologiques, notamment :
  • pour améliorer la compréhension de l’épidémiologie, de la parthénogénèse et le traitement des pathologies causées par de potentiels agents issus d’armes chimiques et la réaction immunitaire à ces agents ;
  • pour parvenir à de nouveaux vaccins, médicaments et antidotes plus efficaces contre les armes biologiques ;
  • pour améliorer les capacités de détection des agents biologiques et de lutte contre ces agents.

Les médecins, les associations médicales et les autres entités de santé devraient :

  1. participer aux côtés des autorités sanitaires locales, nationales et internationales à l’élaboration et à la mise en œuvre des protocoles de préparation et d’intervention en cas d’actes de bioterrorisme et de flambées de maladies infectieuses. Ces protocoles devraient être utilisés comme base pour la sensibilisation des médecins et du grand public ;
  2. soutenir et permettre aux médecins de jouer leur rôle essentiel de dépistage précoce de foyers inhabituels de maladies ou de symptômes, qui pourraient résulter de l’utilisation d’armes biologiques de manière à pouvoir le signaler rapidement aux institutions compétentes.
  3. Les médecins des spécialités concernées devraient :
  • être vigilants quant à l’occurrence de maladies ou de décès inexpliqués au sein d’une communauté ;
  • posséder des connaissances en matière de capacités de veille épidémiologique et de lutte contre des foyers inhabituels de maladies, symptômes ou détections ;
  • être familiers des manifestations cliniques, des techniques de diagnostic, des précautions d’isolement, des protocoles de décontamination et des prophylaxies/thérapies contre les agents biologiques susceptibles d’être utilisés dans une attaque ;
  • utiliser les procédures appropriées pour éviter de s’exposer ou que d’autres soient exposés ;
  • comprendre les bases de la communication des risques pour pouvoir communiquer clairement et de manière non menaçante sur des questions telles que les risques d’exposition et les potentielles mesures de prévention.

Lutte contre la recherche d’armes biologiques

Les gouvernements et les autorités nationales de santé devraient :

  1. élaborer et mettre en œuvre des stratégies nationales et mondiales de sensibilisation au développement potentiel d’armes biologiques parmi les chercheurs et les praticiens, comprenant une information complète sur le système de signalement à utiliser le cas échéant ;
  2. renforcer les mécanismes de supervision, afin de la rendre transparente et responsable et la règlementation des travaux des laboratoires biologiques et travaillant sur des toxines qui pourraient être appliqués à la fabrication d’armes.

Les médecins devraient :

  1. reconnaître la responsabilité sociétale des médecins en tant que scientifiques et humanitaires, pour dénoncer la recherche scientifique pour le développement et l’utilisation d’armes biologiques et pour plaider contre l’utilisation des biotechnologies et des technologies de l’information à des fins potentiellement dangereuses.

Les chercheurs devraient :

  1. se pencher sur les implications et les applications possibles de leur travail et comparer soigneusement l’intérêt de la recherche scientifique et leurs responsabilités éthiques vis-à-vis de la société.

Encourager les mécanismes mondiaux de veille de la menace d’armes biologiques

Les gouvernements devraient :

  1. prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect et la mise en œuvre de la CABT et renforcer sa mise en œuvre par les moyens appropriés, en assurant leur transparence et en mettant en place des mécanisme adéquats de reddition de comptes pour les États membres.

Les médecins, les associations médicales et les autres entités de santé devraient :

  1. défendre, en coopération avec les Nations unies, y compris l’OMS et les autres entités compétentes pour renforcer l’Unité d’appui à l’application de la CABT, notamment les personnalités de la médecine et de la santé publique pour effectuer le suivi de la menace que présentent les armes biologiques, pour identifier les actions susceptibles de prévenir la prolifération des armes biologiques et pour mettre en place un plan coordonné visant à détecter l’émergence de maladies infectieuses dans le monde entier. Un tel plan devrait notamment couvrir :
  • la création de systèmes internationaux de suivi et de signalement, afin d’améliorer la veille et la lutte contre les flambées de maladies infectieuses dans le monde ;
  • l’élaboration d’un protocole de vérification efficace relevant de la CABT ;
  • la sensibilisation des médecins et du personnel de santé publique aux maladies infectieuses émergentes et aux armes biologiques potentielles ;
  • le renforcement des capacités des laboratoire pour identifier les pathogènes biologiques ;
  • la disponibilité des vaccins et des produits pharmaceutiques appropriés et
  • les besoins financiers, techniques et de recherche qui permettraient de réduire les risques d’utilisation d’armes biologiques et d’autres menaces majeures de maladies infectieuses.

 

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