Déclaration de l’AMM sur l’alcool
Adoptée par la 66ème Assemblée Générale de l’AMM, Moscou, Russie, Octobre 2015
Et révisée par la 68ème Assemblée générale, Chicago, Etats-Unis, Octobre 2017
PRÉAMBULE
1. Le fléau des maladies et accidents liés à la consommation d’alcool est un gros défi mondial en matière de santé publique et de développement. L’Association médicale mondiale considère cette déclaration sur l’alcool comme un engagement à réduire la consommation excessive d’alcool. C’est également une façon de soutenir ses membres dans la mise en place de politiques et d’autres mesures de réduction de l’usage nocif de l’alcool.
2. Il existe des problèmes importants sur le plan de la santé, sur le plan social et économique, liés à la consommation excessive d’alcool. Dans l’ensemble, il existe des relations de cause à effet entre la consommation d’alcool et plus de 200 maladies et accidents dont les accidents de la route. Environ 3,3 millions de personnes en meurent chaque année (près de 5,9 % de tous les décès au niveau mondial). Elle constitue le troisième facteur de risque majeur expliquant une mauvaise santé au niveau mondial. 5,1 % d’années de vie corrigées du facteur invalidité y sont imputables. Au-delà des nombreux effets chroniques et aigus sur la santé, l’usage de l’alcool est associé à de graves conséquences sociales, mentales et émotionnelles. Le problème atteint une magnitude spéciale chez les jeunes et les adolescents qui commencent à consommer de l’alcool plus tôt, le risque que ceci présente pour leur santé physique, mentale et sociale est une préoccupation.
3. Bien que la consommation d’alcool soit profondément ancrée dans de nombreuses sociétés, l’alcool ne peut être considéré comme une boisson ou un produit de consommation ordinaire, car c’est une drogue très nocive, d’un point de vue médical, psychologique et social, du fait de sa toxicité physique, de l’intoxication et de la dépendance que l’alcool provoque.
Des preuves de plus en plus nombreuses laissent penser que la vulnérabilité génétique à l’alcool et à sa dépendance est un facteur de risque pour certaines personnes. Le syndrome alcoolique et l’impact de l’alcool sur le fœtus, des causes évitables de handicap mental, pourraient résulter d’une consommation d’alcool au cours de la grossesse.
L’adolescence est une période de vulnérabilité : la consommation d’alcool peut avoir un impact négatif sur le développement neurologique, qui n’est pas encore terminé à ce stade. De plus en plus de données scientifiques démontrent l’effet délétère de la consommation d’alcool avant l’âge adulte et la maturité physiologique, sur le cerveau, le fonctionnement mental, cognitif et le comportement social et la probabilité plus élevée d’une dépendance à l’alcool à l’âge adulte. Une consommation régulière ou de grandes quantités d’alcool chez les adolescents peut avoir des conséquences préjudiciables sur les résultats scolaires, la sexualité et le comportement, et accroître les conduites délinquantes.
4. Des politiques et des mesures efficaces pour réduire l’usage nocif de l’alcool incluront des mesures légales et réglementaires ciblant la consommation globale d’alcool dans la population et des interventions dans le domaine de la santé et du social visant spécifiquement les buveurs à haut risque, les groupes vulnérables et les dégâts causés aux personnes touchées par ceux qui consomment de l’alcool, entre autres la violence domestique.
Pour l’établissement des politiques, il faudrait tenir compte du fait que dans la plupart des pays, la majorité des problèmes en lien avec l’alcool dans une population sont associés à la consommation nocive et dangereuse d’alcool par des buveurs « mondains » non dépendants, notamment en cas d’intoxication. Ce problème se pose notamment pour les jeunes de nombreuses régions du monde, qui boivent avec l’intention de s’enivrer.
5. De nombreuses politiques sur l’alcool et programmes de prévention basés sur la preuve sont efficaces pour réduire les problèmes sanitaires, socio-économiques et de sécurité imputables à l’alcool. Des campagnes internationales de santé publique et des partenariats sont nécessaires pour renforcer et soutenir la capacité des gouvernements et de la société civile dans le monde à s’impliquer, à agir afin de réduire l’usage nocif de l’alcool par des interventions efficaces, y compris des mesures agissant sur les déterminants sociaux de la santé.
Les professionnels de santé en général et les médecins en particulier ont un rôle important à jouer sur le plan de la prévention, du traitement et de l’atténuation des effets nocifs de l’alcool et du recours à des mesures de prévention et des thérapies efficaces.
L’Association médicale mondiale encourage et soutient le développement et la mise en place de politiques nationales basées sur la preuve en favorisant et en facilitant des partenariats, l’échange d’informations et le développement de moyens d’action en matière de politique de santé.
OBJECTIFS POLITIQUES
Pour le développement de politiques sur l’alcool, l’AMM recommande de se concentrer sur les objectifs généraux suivants:
6. Renforcer les systèmes de santé afin d’identifier et d’améliorer la capacité de chaque pays à instaurer des politiques et à mener des actions ciblées sur la consommation excessive d’alcool.
7. Promouvoir le développement et l’évaluation dans tous les pays de stratégies nationales concernant l’alcool qui soient holistiques et basées sur la preuve et incluent des mesures pour réglementer l’approvisionnement, la distribution, la vente, la publicité et la promotion de l’alcool. Il conviendrait notamment de promouvoir les politiques d’un bon rapport coût-efficacité (« best buys ») de l’OMS, telles que (i) l’augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées, (ii) la règlementation de la vente de boissons alcoolisées, (iii) les restrictions sur la publicité pour les boissons alcoolisées et (iv) les mesures de lutte contre l’alcool au volant. Il convient en outre de réévaluer et de mettre à jour régulièrement les stratégies mises en place.
8. Via les services de santé gouvernementaux, évaluer précisément le fléau sanitaire dû à la consommation d’alcool en se procurant des chiffres sur les ventes, des données épidémiologiques et des données sur la consommation par habitant.
9. Soutenir et promouvoir le rôle des professionnels de santé et du personnel médical dans une identification précoce, un dépistage et un traitement de l’usage nocif de l’alcool.
10. Briser les mythes et s’opposer aux stratégies de lutte contre l’alcool non basées sur la preuve.
11. Réduire l’impact nocif de la consommation d’alcool dans les populations à risque.
12. Encourager la collaboration pluridisciplinaire et des actions plurisectorielles coordonnées.
13. Sensibiliser aux effets nocifs de l’alcool par l’éducation de la population et des campagnes d’information.
14. Promouvoir une approche fondée sur les déterminants sociaux de la santé dans la lutte contre la consommation nocive d’alcool.
RECOMMANDATIONS
Les priorités suivantes sont suggérées pour les membres de l’AMM, les associations médicales nationales et les gouvernements pour l’élaboration de politiques intégrées et holistiques et de réponses législatives sur les effets nocifs de l’alcool.
15. Règlementation du prix, de l’accessibilité et de la disponibilité
15.1 Politiques de prix
Des recherches, notamment épidémiologiques, ont prouvé qu’il existait un lien certain entre le prix de l’alcool et le niveau de consommation, notamment chez les jeunes et les gros consommateurs d’alcool.
Il faut donc agir pour augmenter les prix de l’alcool par une taxation « volumétrique » des produits, basée sur leur degré d’alcool et d’autres mécanismes avérés de calcul des prix afin de réduire la consommation d’alcool, notamment pour ceux qui boivent beaucoup et les groupes à haut risque.
L’instauration d’un prix plancher à l’unité qui fera baisser la consommation d’alcool est une mesure forte de santé publique qui fera à la fois baisser la consommation moyenne d’alcool dans la population et qui sera particulièrement efficace auprès des gros consommateurs et des jeunes.
15.2 Accessibilité et disponibilité
Réguler l’accès et la disponibilité de l’alcool en limitant les heures et les jours de vente, le nombre et les endroits où sont implantés des débits d’alcool et les établissements ayant une licence ainsi qu’en instaurant un âge minimum. Les gouvernements devraient taxer et contrôler la production et la consommation d’alcool avec la délivrance de licences ce qui mettrait l’accent sur la santé et la sécurité, ce qui permettrait aux autorités habilitées à octroyer des licences de contrôler la disponibilité d’alcool dans leurs juridictions. Les gouvernements devraient également mettre fin à l’importation et à la vente illégales d’alcool.
Les autorités publiques doivent renforcer l’interdiction de vente aux mineurs et par les mineurs, et systématiquement exiger une preuve de l’âge autorisé pour acheter de l’alcool dans les boutiques et les bars.
16. Règlementation de l’alcool non commercial
La production et la consommation d’alcool sous des formes non commerciales, comme par ex. le brassage à domicile, la distillation illicite et le détournement illégal de l’alcool pour éviter les taxes devraient être restreintes via des mécanismes adaptés d’imposition et de fixation des prix.
17. Règlementation du marketing de l’alcool
Le marketing de l’alcool devrait être limité pour éviter que les jeunes se mettent à boire très tôt et pour réduire leur consommation d’alcool. La règlementation va de l’interdiction de la vente en gros aux restrictions sur les mesures qui promeuvent une consommation excessive d’alcool, aux restrictions sur la publication, le contenu des publicités sur l’alcool et les partenariats et sponsors qui séduisent les jeunes. Il est prouvé qu’une auto régulation et un code de conduite volontaire de l’industrie sont inefficaces pour protéger les populations vulnérables de l’exposition au marketing et à la promotion de l’alcool.
Il conviendrait de sensibiliser la population aux dangers d’une trop grande consommation d’alcool par un étiquetage obligatoire indiquant clairement le volume d’alcool en unités, des recommandations relatives aux niveaux de consommation et des avertissements sanitaires, appuyés par des campagnes de sensibilisation.
En liaison avec d’autres mesures, des campagnes de marketing social en coopération avec les médias devraient être mises en place pour éduquer la population sur l’usage nocif de l’alcool, pour adopter des politiques de lutte contre l’alcool au volant et pour cibler le comportement de populations à haut risque.
18. Rôle des services de santé en matière de prévention
Les professionnels de santé et les professionnels du secteur social devraient être formés, disposer de ressources et soutenus pour prévenir un usage nocif de l’alcool et traiter les personnes dépendantes à l’alcool, y compris en disposant de brefs messages encourageant les buveurs à haut risque à réduire leur consommation. Les professionnels de santé jouent aussi un rôle majeur sur le plan de l’éducation, de la sensibilisation et de la recherche.
Des traitements spécifiques et des services de réhabilitation devraient être disponibles en temps voulu et financièrement accessibles pour les personnes dépendantes à l’alcool et leurs familles.
Conjointement aux sociétés de médecine nationales et locales, les organisations de spécialistes médicaux, les groupes sociaux, religieux et économiques concernés (y compris les instances gouvernementales, scientifiques, professionnelles, non gouvernementales et bénévoles, le secteur privé et la société civile), les médecins et autres professionnels de santé et des services sociaux peuvent œuvrer pour :
18.1 faire baisser l’usage nocif de l’alcool, notamment parmi les jeunes et les femmes enceintes, sur le lieu de travail et au volant ;
18.2 renforcer la vraisemblance que chacun ne subira pas de pression pour consommer de l’alcool et ne subira pas les effets nocifs et malsains des autres qui boivent ; et
18.3 promouvoir les stratégies de prévention basées sur la démonstration dans les écoles, au sein des familles et dans la communauté.
18.4 Contribuer à informer la population des dangers de la consommation d’alcool et briser les mythes attribuant des vertus thérapeutiques à l’alcool.
Les médecins ont un rôle important à jouer pour faciliter le recueil de données épidémiologiques et de données provenant des services de santé sur l’impact de l’alcool, à des fins de prévention et de promotion de la santé publique. Le recueil des données doit être conforme aux exigences de confidentialité attachées aux données relatives à l’état de santé des patients.
19. Mesures de lutte contre la conduite en état d’ivresse
Il conviendrait de mettre en place des mesures fortes pour lutter contre la conduite en état d’ivresse qui comporteraient un taux d’alcoolémie légal maximal pour les conducteurs ne dépassant pas 50 mg/100 ml. Ces mesures devraient être soutenues par des campagnes de marketing social et les autorités qui ont le pouvoir d’infliger des sanctions immédiates.
Ces mesures devraient aussi inclure une application réelle des mesures de sécurité routière, des alcotests au hasard et des actions judiciaires et médicales pour les conducteurs récidivistes.
20. Limiter le rôle des industriels de l’alcool dans l’élaboration des politiques de lutte contre l’alcool
Les priorités commerciales des industriels de l’alcool sont en conflit direct avec l’objectif de santé publique de réduction de la consommation mondiale d’alcool. Au niveau international, les industriels de l’alcool participent régulièrement à l’élaboration par les autorités nationales de politiques nationales de lutte contre l’alcool, mais s’opposent ou cherchent souvent à affaiblir des politiques efficaces. Il faut agir contre les stratégies de lutte contre l’alcool inefficaces et non basées sur la preuve dont font la promotion les industriels de l’alcool et les organisations sociales subventionnées par l’industrie. En matière de réduction des effets nocifs de l’alcool, les industriels de l’alcool devraient se limiter à leur rôle de producteurs, de distributeurs et de commerçants d’alcool et ne pas prendre part à l’élaboration de politiques de lutte contre l’alcool ou à la promotion de la santé.
21 Convention sur la lutte contre l’alcool
Promouvoir les réflexions en vue d’une convention-cadre sur la lutte contre l’alcool similaire à celle de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac.
22. Exclusion de l’alcool des accords commerciaux
En outre, et afin de préserver les mesures de lutte actuelles et futures contre l’alcool, il convient de promouvoir le classement de l’alcool dans les marchandises non ordinaires et à ce titre d’exclure des accords commerciaux internationaux toutes les mesures relatives à la fourniture, la distribution, la vente de boissons alcoolisées ainsi que la publicité, le sponsoring et les incitations à l’investissement concernant l’alcool.
23. Mesures de lutte contre les références positives à l’alcool dans les médias
Il est essentiel d’agir sur l’impact des messages des médias sur les croyances, intentions, attitudes et normes sociales. Les campagnes médiatiques bien conçues peuvent avoir un effet sur les comportements. Les médias influencent également la conception sociale d’un problème et jouent indirectement sur les processus de décision ayant trait aux mesures de lutte contre les méfaits de l’alcool.