Prise de position de l’AMM sur les épidémies et pandémies
Adoptée par la 68e Assemblée Générale de l’AMM à Chicago, Etats-Unis, Octobre 2017
et révisée par la 75ème Assemblée Générale de l’AMM, Helsinki, Finlande, octobre 2024
PRÉAMBULE
L’histoire montre que de nouvelles maladies peuvent émerger, et de plus anciennes réémerger soudainement, constituant ainsi une menace considérable pour la santé mondiale.
Les épidémies et les pandémies mettent en évidence les inégalités profondes, dans la mesure où elles touchent plus durement les régions les moins dotées en ressources en raison de leurs faibles ressources, de leurs systèmes de santé fragiles et du joug que représentent les maladies dans ces zones. L’approche fondée sur le principe de responsabilités communes, mais différenciées (RCMD) peut être adoptée pour la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies afin de favoriser l’équité et la justice dans la coopération entre États.
La sécurité sanitaire mondiale est d’autant plus vulnérable que le développement accéléré de maladies susceptibles d’évoluer en épidémies se combine aux retombées des conflits géopolitiques, à la destruction de l’environnement, au changement climatique, à l’augmentation de l’empiètement humain sur les écosystèmes naturels, à la résistance aux antimicrobiens, à l’aggravation des disparités socio-économiques, aux déplacements mondiaux et au lien intrinsèque entre la santé des êtres humains, celle des animaux et celle de notre environnement partagé.
L’approche Une Seule Santé vise à reconnaître l’interdépendance critique de tous les organismes vivants et de leurs habitats comme une condition essentielle à la compréhension de l’émergence et de la propagation des maladies, rendant nécessaire l’adoption d’une stratégie multisectorielle et interdisciplinaire dans la lutte contre les risques pour la santé mondiale.
Il est également crucial de disposer d’un programme de veille mondiale efficace pour améliorer la prévention et la réponse aux maladies infectieuses et permettre une détection et une identification précoces des menaces émergentes. La propagation rapide des épidémies et des pandémies dans les régions aux infrastructures de santé publique sous-financées et sous-développées met en lumière le besoin urgent d’un cadre de coopération mondial. Un tel cadre s’attacherait en priorité au déploiement de systèmes de santé résilients capables de supporter les difficultés que représentent les maladies infectieuses et donc de préserver la santé et le bien-être des populations dans le monde entier.
Il est essentiel d’investir dans le renforcement de la santé publique, des soins de santé primaires et des autres volets des systèmes de santé pour améliorer les capacités de prévention, de détection, d’endiguement et de gestion des flambées inhabituelles de maladies et ainsi créer des fondations solides pour les principales fonctions de santé publique.
Il convient d’accorder une attention particulière aux personnes se trouvant dans des environnements fragiles, vulnérables et touchés par des conflits, sans omettre la prise en compte des vulnérabilités individuelles que sont le handicap, le genre, l’appartenance autochtone et ethnique, etc.
RECOMMANDATIONS
L’AMM invite les parties prenantes suivantes à :
OMS et Nations unies
- Infrastructure mondiale de lutte contre les pandémies : renforcer l’infrastructure mondiale de prévention, de suivi et de réponse aux pandémies sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; assurer que cela renforce le rôle crucial de l’OMS dans la direction des efforts sanitaires internationaux, tout en favorisant un engagement global à tous les niveaux des gouvernements et des sociétés.
- Engagement politique : assurer l’implication des plus hauts niveaux de responsabilité dans chaque pays pour un engagement politique en faveur de la prévention des pandémies, de la préparation hors situation d’urgence et de la réponse en situation de pandémie.
- Équité dans la santé mondiale : favoriser l’équité au niveau mondial en luttant contre les déterminants sociaux de la santé et contre les inégalités, qui peuvent intensifier les épidémies et les pandémies ; mettre en place des mécanismes permettant d’assurer à tous un accès équitable et en temps utile à des mesures de lutte contre l’épidémie, tout en allouant prioritairement des ressources à la satisfaction des besoins en santé publique ; renforcer les systèmes de santé et maintenir les efforts sociétaux plus larges afin de rendre la réponse mondiale plus efficace et équitable.
- Communication et lutte contre les fausses informations : assurer un discours cohérent en direction de la population et un suivi des discours publics, notamment sur les réseaux sociaux, pour lutter contre les informations fausses ou mensongères.
- Cadres légaux : renforcer les moyens de mise en œuvre et de respect des instruments du droit international dans le cadre de la réponse aux pandémies, en assurant l’efficacité des règlements sanitaires internationaux et en élaborant un instrument juridique international complet relatif aux pandémies.
- Recueil, partage et examen de données : renforcer le recueil de données sur le développement des maladies infectieuses et assurer leur diffusion à toutes les parties prenantes, y compris le personnel de santé, les acteurs non gouvernementaux et les gouvernements ; effectuer des examens universels de la santé et de la préparation aux urgences avec un suivi indépendant renforcé ; définir des critères de comparaison pour évaluer l’équité dans la distribution des ressources, l’accès aux soins de santé et les résultats dans tous les groupes de population ; effectuer le suivi des disparités afin d’améliorer l’équité des interventions.
- Collaboration entre parties prenantes : élargir les partenariats avec les gouvernements et les acteurs non gouvernementaux pour une réponse multisectorielle efficace, axée sur le pathogène et le partage des effets bénéfiques et traitant des questions de propriété intellectuelle pour une distribution équitable des ressources.
- Autres sources de risque pandémique : améliorer la sécurité sanitaire mondiale en intégrant à la préparation aux pandémies les aspects liés au changement climatique, à la destruction de l’environnement et au risque de conflit. Ce faisant, porter une attention particulière aux populations vulnérables, notamment par le renforcement des systèmes de santé dans les régions touchées par des catastrophes climatiques ou des conflits pour améliorer leurs capacités de réaction et leur résilience.
Gouvernements nationaux
- Préparation, réponse et gouvernance : bâtir une architecture nationale robuste de préparation aux pandémies en tirant des leçons des pandémies précédentes, notamment pour la fabrication locale ou régionale de produits de santé, leur stockage local et l’amélioration de la gouvernance nationale par des mesures anticorruption. Les associations médicales et les médecins de toutes les spécialités doivent être associés à la planification, la préparation et la réponse aux pandémies à tous les niveaux pour accroître l’efficacité des systèmes de santé pendant les crises.
- Financement : assurer un financement suffisant et durable de la préparation et de la réponse au niveau mondial, y compris en finançant l’OMS, la recherche et développement et le renforcement des systèmes de santé nationaux.
- Allocation équitable des ressources : adopter une approche fondée sur le principe des responsabilités communes, mais différenciées pour la définition des obligations de financement ; assurer que les ressources sont attribuées à ceux qui en ont le plus besoin tout en affectant les ressources nécessaires aux services de santé essentiels afin d’atténuer la gravité et la durée des pandémies.
- Renforcement de la main-d’œuvre de santé : soutenir la main-d’œuvre de santé par une formation appropriée à la préparation et à la réponse aux pandémies, avec un appui supplémentaire pour les mesures de réponse, y compris en matière de santé mentale, de sécurité des environnements de travail, d’accès aux mesures de protection et de ressources humaines et matérielles suffisantes au regard des services requis.
- Renforcement des systèmes de santé : assurer la continuité des systèmes de santé pour que les services de soins habituels puissent se poursuivre sans pâtir des mesures de santé publique.
- Service de soins de santé mentale : étendre les services de santé mentale afin d’assurer un soutien complet à toutes les populations touchées pendant et après une pandémie, notamment en intégrant les soins de santé mentale aux services de santé primaires, en créant des équipes spécialisées dans la santé mentale et en facilitant l’accès des patients, des personnels de santé et des populations à un soutien psychologique.
- Technologie numérique : poursuivre le développement de l’infrastructure de santé numérique pour accroître les capacités de prévention et de réponse aux pandémies tout en assurant à toutes les populations un accès sûr et équitable aux services de santé, avec une attention particulière aux populations isolées et sous-dotées.
- Protection sociale : mettre en œuvre des mesures de soutien socio-économique pendant les pandémies pour protéger les populations vulnérables des effets délétères des crises sanitaires.
- Chaîne d’approvisionnement : développer l’infrastructure de recherche sur les pandémies et la production d’équipements, outils de diagnostic, de médicaments, de vaccins et d’équipement de protection personnelle essentiels.
- Réponse guidée par la science : prendre des mesures de lutte contre la pandémie fondées sur les recommandations de la science et des experts, au besoin en les adaptant aux contextes locaux ; élaborer des plans nationaux de préparation aux pandémies.
- Gestion de la communication : investir dans l’éducation à la santé publique pour doter la population des connaissances de base en matière de santé ; mettre en œuvre des lois, règlementations et règles administratives contre la diffusion de fausses informations ; assurer une communication de crise exacte, rapide, transparente et fondée sur la science.
Associations médicales et sociétés scientifiques
- Enseignement et formation : encourager l’intégration de la préparation et la réponse aux pandémies au cursus d’enseignement de la médecine et à la formation continue du personnel de santé, notamment par des cours permettant d’acquérir les connaissances et les compétences en matière de maladies infectieuses émergentes.
- Une Seule Santé : collaborer avec les organisations de santé vétérinaire et environnementale pour adopter une approche Une Seule Santé en matière de gestion des risques d’épidémie, pour créer de nouvelles méthodes de veille et de lutte contre les épidémies et les pandémies.
- Diffusion de la recherche et de l’innovation : plaider pour des plateformes de partage d’informations qui favorisent la recherche collaborative et l’échange de données dans l’ensemble de la communauté scientifique mondiale.
- Partenariats pour l’innovation: promouvoir les partenariats entre institutions publiques et les entités privées pour encourager l’innovation, en assurant que la gestion des droits de propriété intellectuelle favorise un accès universel aux technologies et traitements médicaux essentiels ; plaider pour un accès abordable et équitable aux innovations, notamment aux médicaments et aux technologies axées sur le patient.
- Implication de la population : favoriser d’étroites relations entre la population et les prestataires de soins de santé pour une gestion de pandémie inclusive.
- Planification des ressources : aider les gouvernements à prévoir les ressources nécessaires et plaider pour des environnements de travail sûrs et l’accès à des équipements de protection individuelle de qualité, avec des mesures de lutte contre la pandémie axées spécifiquement sur la protection de tous les lieux de travail médicaux.
- Lutte contre les fausses informations : soutenir la lutte contre les informations fausses et trompeuses en établissant des partenariats avec les réseaux sociaux et les plateformes en ligne pour les identifier et diffuser efficacement des informations exactes et fondées sur des preuves ; traiter la diffusion de fausses informations par des professionnels des soins de santé comme contraire à l’éthique et la sanctionner adéquatement.
- Éducation à la santé:organiser des campagnes afin d’accroître les connaissances médicales de base du grand public et de le sensibiliser aux informations médicales fausses et mensongères.
- Accélération de la recherche : encourager les investissements dans la recherche et dans des processus rapides et éthiques de révision par des pairs pour la recherche liée à la pandémie, tout en assurant le plein respect des principes énoncés dans la déclaration d’Helsinki de l’AMM sur les principes éthiques régissant la recherche médicale impliquant des sujets humains.
Médecins
- Compétences de communication axée sur les patients : les médecins devraient cultiver des compétences de communication empathique et claire afin de délivrer efficacement à leurs patients des informations médicales exactes et fondées sur des preuves, répondre aux idées fausses et apprendre à leurs patients à identifier les informations crédibles, conformément à la déclaration de Cordoue de l’AMM sur la relation médecin-patient.
- Mobilisation : signaler les pénuries de ressources essentielles, les défaillances des systèmes de santé, les informations fausses et mensongères et les iniquités d’accès à la santé et à la santé publique.
- Contribution à la santé publique : se tenir informé des épidémies et collaborer avec les autorités de santé publique au sujet de la préparation et de la réponse aux pandémies tout en satisfaisant aux obligations de déclaration des pathogènes préoccupants et en facilitant les interventions adaptées aux populations couvertes.