Prise de Position de l’AMM sur les Responsabilités des Médecins dans la Prévention et le Traitement des Abus d’Opiacés et de Psychotropes
Adoptée par la 57ème Assemblée générale de l’AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, Octobre 2006
et révisée par la 67e Assemblée générale, Taipei, Taiwan, Octobre 2016
PREAMBULE
Les opiacés et les psychotropes sont des outils thérapeutiques efficaces lorsqu’ils sont médicalement indiqués pour toute une série de symptômes et pathologies. L’AMM a d’ailleurs appelé à une meilleure prise en charge de la douleur dans sa Résolution sur l’accès à des traitements de la douleur adaptés (Montevideo, Uruguay, octobre 2011). Hélas l’utilisation non clinique de ces substances addictives est un gros problème partout dans le monde. La toxicomanie est un problème complexe à dimension sociale, économique et légale ainsi qu’une menace pour la santé et la sécurité publiques en général. Elle touche les gens de tous les groupes sociaux et de toutes les sphères économiques. Hormis le fait de mettre leur santé directement en danger en faisant un mauvais usage de ces substances, les personnes toxicomanes peuvent avoir des comportements à hauts risques, comme par ex. se partager une aiguille et avoir des relations sexuelles non protégées et bon nombre en viennent à se comporter en criminels pour financer le coûté élevé de leur dépendance à la drogue. Ces facteurs accroissent la transmission d’infections virales telles que l’hépatite B et C et le VIH/SIDA, aussi bien parmi les utilisateurs que parmi les non utilisateurs. La toxicomanie entraîne d’autres conséquences, à savoir la perte d’emploi ou l’incapacité de mener une vie sociale et familiale.
Les répercussions sur le plan légal de la consommation non médicale de drogues, illicite dans la plupart des pays, ne contribuent généralement pas beaucoup à aider les utilisateurs à se libérer de leur dépendance. En dépit des programmes de lutte contre la toxicomanie dans de nombreux établissements pénitenciers, les substances illégales circulent très souvent parmi les prisonniers et de fait, certains utilisateurs sont tombés dans la toxicomanie au cœur de ces établissements. Le problème de la toxicomanie doit donc être réglé pour une grande part au niveau de la société et de la profession médicale.
L’Association Médicale Mondiale, préoccupée par le mauvais usage à grande échelle des psychotropes et des opiacés, demande aux médecins d’en faire une priorité dans leur exercice médical et a formulé les directives suivantes :
PRINCIPES
Prescriptions responsables
Les médecins doivent être conscients des risques d’accoutumance liés à certains psychotropes et opiacés. De telles drogues doivent être prescrites avec la plus grande parcimonie, en observant les strictes indications médicales. Les médecins doivent veiller à être parfaitement informés des effets de ces drogues et notamment consulter les derniers travaux de recherche en matière de dosage, d’efficacité pour une pathologie donnée, d’effets secondaires possibles ainsi que d’interactions pharmacologiques et de prévalence des abus.
Lorsque de telles drogues sont médicalement indiquées, leur utilisation doit s’accompagner d’un suivi minutieux afin de s’assurer que le patient respecte strictement les instructions en matière de dosage, d’horaires de prise et de tout autre critère sécurisant l’usage d’une drogue spécifique. Toutes les mesures doivent être prises pour éviter le stockage, la revente ou tout autre usage illicite de la drogue.
Les patients doivent être parfaitement informés de tous les effets thérapeutiques et non thérapeutiques potentiels des psychotropes et opiacés, y compris le risque d’accoutumance, et doivent être totalement impliqués dans la décision de les prendre. Aucun patient ne doit être contraint à prendre un psychotrope.
Les médecins doivent connaître les facteurs non médicaux qui risquent de prédisposer les patients à la dépendance. Ces facteurs peuvent inclure entre autres l’histoire familiale, un passé de toxicomane, un choc émotionnel, la dépression ou toute autre pathologie mentale et la pression des pairs, notamment chez les jeunes.
Les médecins doivent apprendre à identifier les patients dépendants ( » drug seekers » ) qui essaient de se procurer des psychotropes et opiacés sous de faux prétextes médicaux. Ce type de patients consulte souvent plusieurs médecins afin d’obtenir plusieurs ordonnances. Dans des cas extrêmes, ils peuvent se faire du mal pour créer des symptômes justifiant une ordonnance. L’ensemble des pathologies et des symptômes doit être cliniquement contrôlé, dans toute la mesure du possible, et des dossiers précis doivent être tenus sur l’historique des patients en matière de drogues. Si des banques de données contenant des dossiers de patients toxicomanes et des historiques d’ordonnances existent, il convient de les consulter.
Lorsqu’ils prescrivent des psychotropes et opiacés aux mineurs, les médecins doivent parfaitement informer les parents ou les tuteurs du risque d’abus du médicament et les encourager à surveiller attentivement l’enfant pour s’assurer que ce dernier respecte les instructions du médecin. Les parents ou les tuteurs doivent savoir que dans certains pays, on voit de plus en plus d’enfants vendre des médicaments sur ordonnance à leurs pairs.
Thérapie non médicamenteuse pour l’addiction aux psychotropes et opiacés
Les médecins doivent connaître toutes les options thérapeutiques non médicamenteuses possibles pour traiter une addiction aux psychotropes et opiacés, y compris les programmes en médecine hospitalière ou ambulatoire et les groupes thérapeutiques où les toxicomanes vivent dans un environnement sans drogue et bénéficient d’un soutien. La plupart des programmes thérapeutiques se concentrent sur la rupture du cycle de dépendance à la drogue par le biais d’une désintoxication, d’une assistance – y compris avec le soutien des pairs – et d’une abstinence totale de psychotropes et opiacés, y compris d’alcool. D’autres programmes proposent des études ou une formation professionnelle pour une meilleure réintégration dans la vie communautaire.
Les médecins doivent encourager leurs patients à participer à des programmes de traitement à la toxicomanie, au stade le plus précoce de l’addiction.
Il convient de respecter la dignité et l’autonomie des patients toxicomanes. Le traitement en milieu hospitalier non consenti des toxicomanes doit être décidé en dernier ressort, conformément aux directives en vigueur et le cas échéant, dans le respect du droit national.
Thérapie de substitution médicamenteuse pour l’addiction aux opiacés
Dans certains cas, les personnes dépendantes des opiacés peuvent être soignées par des médicaments de substitution qui soulagent les symptômes de sevrage et l’envie de la substance en cause sans produire le » trip » associé aux opiacés. Ces médicaments génèrent aussi une tolérance croisée avec les autres opioïdes. L’administration de médicaments de substitution vise à stopper immédiatement la consommation d’opiacés.
La thérapie de substitution médicamenteuse peut aider le patient dépendant aux opiacés à vivre dans son environnement normal et à mener ses activités tout en combattant son addiction aux opiacés. Toutefois, l’approche doit toujours être pluridisciplinaire et inclure des traitements non médicamenteux éprouvés, tels que l’assistance, les conseils et le soutien des pairs.
Une thérapie de substitution médicamenteuse doit être délivrée selon les directives en vigueur basées sur la preuve et supervisée par des médecins spécialement formés en la matière, avec une équipe compétente en soutien.
Prise de conscience et mise en place d’une politique
Les Associations Médicales Nationales (AMN) doivent s’engager dans des efforts nationaux et multisectoriels pour sensibiliser aux risques associés à l’abus des psychotropes et opiacés et pour assurer la disponibilité de traitements appropriés pour les personnes dépendantes. Les AMN doivent encourager leurs membres à participer à des programmes similaires au niveau collectif.
Les AMN doivent promouvoir la mise en place de programmes de prévention des drogues à tous les niveaux du système éducatif, en étant conscientes que les jeunes expérimentent de plus en plus l’usage des drogues.
Les AMN et les médecins doivent participer à la mise en place de directives basées sur la preuve qui favorisent une approche pluridisciplinaire du traitement des addictions aux drogues, comportant aussi des stratégies de limitation des dangers tel que le partage des aiguilles.
Les AMN doivent participer à l’établissement de procédures légales relatives à l’usage illicite des drogues afin que les personnes dépendantes soient reconnues comme des personnes devant être soignées et réintégrées, y compris au sein des établissements pénitenciers.
CONCLUSION
Les médecins ont un rôle important à jouer dans la lutte contre la toxicomanie, aussi bien en tant que cliniciens que comme avocats de solutions thérapeutiques et défenseurs des droits et de la dignité des personnes dépendantes de ces substances nuisibles. Le traitement de l’addiction, comme tout autre traitement, doit être entrepris dans le meilleur intérêt du patient et selon les principes d’éthique médicale en vigueur.