Prise de Position de l’AMM sur l’Accès aux Soins de Santé
Adoptée par la 40e Assemblée Médicale Mondiale Vienne (Autriche), Septembre 1988
révisée par la 57e Assemblée Générale de l’AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, Octobre 2006
et par la 68e Assemblée générale de l’AMM, Chicago, Etats-Unis, Octobre 2017
PRÉAMBULE
1. La santé n’est pas simplement l’absence de maladie. Elle est également un état d’épanouissement physique, psychologique et social et englobe la capacité des individus à s’adapter à l’adversité physique, sociale et mentale. La santé dépend de nombreux facteurs, notamment l’accès aux soins de santé, et les déterminants sociaux de la santé (DSS). Recouvrer la santé relève aussi de plusieurs facteurs. Il incombe à la société de mettre à la disposition de tous ses membres, indépendamment de leur capacité de les payer, des soins de santé de qualité.
2. Les professionnels de santé doivent régulièrement analyser les effets du faible accès à des soins sur les inégalités en matière de santé et il leur incombe de partager les résultats de leurs travaux avec les gouvernements au niveau local, régional et national pour assurer que ces derniers comprennent les déterminants sociaux de la santé et intègrent dans toutes leurs politiques la réduction des facteurs d’inégalités dans le domaine de la santé. Les politiques relatives aux soins de santé devraient comporter des pistes pour éliminer les inégalités en la matière.
3. L’accès aux soins de santé est important pour réduire les conséquences à court, moyen et long terme des problèmes de santé dus à des conditions sociales difficiles. L’accès lui-même est pluridimensionnel et dépend de facteurs comme les ressources humaines, la formation, les finances, les transports, la disponibilité géographique, la liberté de choix, l’éducation de la population, l’assurance qualité et la technologie, dans le secteur de la santé.
LIGNES DIRECTRICES
Professionnels de santé
4. La prestation de soins de santé dépend largement de la disponibilité de professionnels de santé compétents. Leur formation doit leur apporter des compétences médicosociales et insister notamment sur la manière dont les déterminants sociaux de la santé influent sur l’état de santé des personnes.
Comme le montre la démographie de la plupart des pays, la population vieillissante constitue un énorme de défi pour les années à venir. Or le personnel soignant est inégalement réparti au niveau mondial. Alors que tous les pays forment des professionnels de santé, les déplacements de population des pays les plus pauvres vers les pays les plus développés conduisent à des pénuries permanentes. L’élaboration de codes de recrutement éthiques pourrait aider à limiter les pratiques injustes des États. Ces codes de recrutement éthiques devraient également s’imposer aux agences commerciales de recrutement.
5. Il convient d’étudier comment combiner au mieux les différents professionnels de santé dans des environnements cliniques variés pour répondre aux besoins des patients. La mauvaise répartition à l’intérieur des pays devrait être combattue en incitant les professionnels de santé à travailler dans les zones rurales, isolées ou mal desservies, au moins pendant une partie de leur carrière. Il conviendrait d’explorer des pistes innovantes pour rendre attractifs les postes dans des régions mal desservies, sans utiliser de méthodes de recrutement punitives ou coercitives. Le recrutement d’étudiants venant de déserts médicaux et exprimant le désir de s’installer dans leur région d’origine pourrait contribuer à résoudre ce problème.
Formation
6. La formation initiale des professionnels de santé doit être adaptée, accessible et de bonne qualité. La formation du personnel de santé est donc coûteuse, et ce coût est supporté par le pays d’origine du médecin. Les soignants doivent ensuite aller plus loin pour se former davantage ou se spécialiser et également pour mieux gagner leur vie, parfois pour envoyer de l’argent chez eux pour soutenir leur famille et leur communauté.
7. Le souhait de se perfectionner est légitime et les efforts pour retenir les professionnels de santé dans leur région d’origine devraient encourager leur retour au pays par l’utilisation de nouvelles compétences et connaissances visant à améliorer l’accès aux soins de santé.
8. Les États ne devraient pas recruter activement les médecins d’autres pays. Même lorsqu’ils le font de manière passive, ce recrutement devrait répondre à des normes éthiques et à la Prise de position de l’AMM sur les directices éthiques pour le recrutement des médecins au niveau international.
Finances
9. L’accès aux soins est essentiel pour toute la population. Les méthodes de financement des soins sont à la discrétion de chaque pays et dépendent de leurs ressources, de leurs priorités sanitaires et sociales et des besoins de santé. Les pays doivent mettre au point des systèmes fiscaux qui réduisent les paiements directs des patients et les assurances de santé privées qui accroissent les inégalités entre les groupes de population.
10. Aucun système de financement n’étant idéal pour tous les pays, l’équilibre convenable doit être décidé au niveau local. Lorsqu’ils prennent les décisions relatives aux systèmes de financement, les gouvernements doivent être conscients que les soins médicaux sont essentiels, de la nécessité absolue que ces soins soient à la portée de tous, qu’ils soient fondés sur les besoins médicaux et non sur la capacité de payer et qu’ils ne sauraient dépendre d’inquiétudes financières. L’éligibilité aux soins ne signifie pas l’accès, notamment si des systèmes de co-paiement excluent les personnes les plus démunies.
11. Il convient de recourir à des méthodes innovantes pour assurer des soins de santé complets, telles que des partenariats avec des prestataires privés et des entités commerciales, qui pourraient assurer des éléments de soins spécialisés. Les États doivent néanmoins assurer que cette politique, qui ne doit pas être considérée comme une préférence pour un système de soins privé ne limite pas les soins spécialisés à la frange la plus riche de la population.
12. Les décisions de limiter l’accès à des éléments des soins de santé doivent être prises en fonction d’informations objectives, des données scientifiques les plus fiables relatives à l’efficacité et à la sécurité des services de soins de santé. Il convient que ces décisions fassent l’objet d’un débat public et que les concepts associés à ces politiques soient acceptés par la population. Aucune mesure ne saurait être introduite avec l’effet de discriminer une population vulnérable ou âgée.
13. La population devrait avoir accès à des informations claires au sujet des ressources mises à leur disposition en matière de soins de santé et de la manière d’en bénéficier. Il convient de créer des processus précis pour assurer que la pauvreté ou l’illettrisme ne soient pas des obstacles à l’accès aux soins.
Personnes vulnérables et difficiles à atteindre
14. Dans tous les pays il est difficile de faire parvenir des messages de santé à certains groupes de personnes. Ce sont des personnes qui ont souvent recours tardivement aux soins de santé lorsqu’ils sont malades.
15. Il convient d’utiliser des méthodes variées, notamment des méthodes visant à rassurer et à éliminer les obstacles d’autre nature, pour assurer que les personnes difficiles à atteindre sont conscientes qu’elles peuvent bénéficier de soins de santé sans frais directs, incluant des méthodes pour réduire la peur et les autres barrières à l’accès aux soins.
16. Lorsque des vulnérabilités spécifiques comme l’illettrisme ou une déficience sensorielle semblent jouer un rôle, les solutions devraient comprendre l’identification de ces vulnérabilités et leur prise en compte.
17. Les professionnels de santé ont le devoir d’assurer des soins exempts de toute forme de discrimination.
Transports
18. Les établissements de santé devraient être faciles d’accès. Il peut être nécessaire de travailler avec les services de transport public pour assurer que des itinéraires de transports publics passent à côté des établissements de santé. Il conviendrait d’envisager de faire mieux desservir les établissements de soins par les transports publics. Les patients peuvent avoir à parcourir des distances considérables pour se faire soigner, notamment dans les zones rurales ou isolées.
19. Il convient d’assurer le transport des patients qui doivent être orientés vers des spécialistes ou des soins secondaires. Les personnes qui ont besoin d’aide pour avoir accès aux soins de base devraient également être assistées. Il conviendrait d’offrir le transport aux patients vivant dans des zones isolées qui doivent être soignés dans des établissements qui se trouvent dans des grandes villes. La télémédecine pourrait remplacer adéquatement le transport des patients dans certains cas.
Disponibilité géographique
20. Il pourrait être utile de travailler avec d’autres prestataires de soins, comme les sages-femmes traditionnelles, qui devraient être intégrées au système de soins de santé, recevoir une formation et être assistées pour prodiguer des soins sûrs et efficaces et aiguiller les patients vers d’autres professionnels si besoin. Cette mesure ne saurait s’étendre au financement par le système de santé public de pratiques non scientifiques, notamment les thérapies dites complémentaires ou alternatives.
Liberté de choix
21. La liberté de choix en matière de prestataire de soins et de solutions proposées est essentielle dans tous les systèmes. Elle requiert la capacité de comprendre ce choix et la liberté de choisir un prestataire parmi plusieurs solutions différentes.
22. Les obstacles à la liberté de choix peuvent être d’ordre financier ou provenir d’une incompréhension des différentes solutions ou de facteurs culturels ou géographiques, entre autres. Il est essentiel que les personnes puissent librement s’informer des solutions disponibles pour faire un choix éclairé.
23. Les autorités de santé devraient veiller à ce que toutes les populations comprennent comment accéder aux soins et obtiennent des informations objectives sur les différents prestataires de soins.
24. Une fois que les patients sont reçus par un prestataire ou un médecin, ils devraient pouvoir étudier les options médicales ; la disponibilité des informations est essentielle pour permettre le choix.
Éducation de la population
25. L’éducation générale est un déterminant de la santé ; plus une personne est instruite, plus il est probable qu’elle soit en bonne santé. En cas de problèmes de santé, une éducation préalable peut être déterminante pour la vitesse à laquelle la personne ira se faire soigner. L’éducation aide aussi les personnes à faire des choix sur les solutions thérapeutiques auxquelles elles ont accès.
26. Une éducation axée sur les questions de santé peut s’avérer importante pour prévoir son mode de vie. L’éducation seule ne suffit pas, par exemple à cesser de fumer ou de consommer des drogues ou de l’alcool, mais peut aider à prendre des décisions relatives aux comportements à risques.
27. Un niveau général de connaissances en matière de santé aide les patients à choisir entre différentes options thérapeutiques et à se conformer aux prescriptions. Les soins personnels seront également améliorés tout comme la capacité du patient à s’orienter vers un service de santé.
28. Il conviendrait de mettre en place des programmes éducatifs aidant les personnes à faire des choix éclairés sur leur santé personnelle et sur la bonne utilisation à la fois des soins personnels et des soins effectués par les professionnels. Ces programmes devraient comprendre des informations sur les coûts et bénéfices associés à d’autres traitements de médecine moderne, le recours à des services professionnels permettant une détection, un traitement ou une prévention précoces des maladies ; les responsabilités personnelles quant à la prévention des maladies, et l’utilisation efficace du système de soins. Les médecins devraient participer activement, le cas échéant, à ces efforts éducatifs et recevoir les ressources nécessaires pour prendre ces tâches en charge.
29. L’éducation de la population aide également les gouvernements à mieux faire comprendre les mesures de santé publique comme les taxes sur le tabac, l’interdiction de consommation de certains produits par les humains et les restrictions en matière de liberté individuelle pour des raisons sanitaires. Lorsque les gouvernements décident de mesures législatives ou règlementaires, elles doivent être accompagnées d’une campagne d’information de la population pour que les mesures soient comprises et respectées.
Assurance qualité
30. L’assurance qualité devrait faire partie de tous les systèmes de soins. Les médecins partagent la responsabilité d’assurer la qualité des soins de santé et ne doivent pas permettre que d’autres considérations mettent en péril la qualité des soins fournis.
Technologie
31. La technologie joue un rôle de plus en plus important dans les services de santé. Les prix d’achat des biens en immobilisation sont élevés en raison du besoin de services logistiques spécifiques, avec des techniciens formés et la mise à disposition de locaux adéquats. Les technologies avancées ne sont pas disponibles partout ; leur accès doit être bien planifié afin que l’ensemble des patients dans le besoin en bénéficient, pas uniquement ceux proches des centres technologiques avancés.
Circonstances exceptionnelles
32. Dans des circonstances exceptionnelles comme les conflits armés et les catastrophes naturelles majeures telles que les séismes, les médecins ont le devoir de veiller à ce que les décideurs politiques protègent l’accès aux soins, notamment pour les plus vulnérables et les moins capables de rejoindre les zones plus sûres.
RECOMMANDATIONS
33. Les déterminants sociaux de la santé influent largement sur l’accès aux soins et donc sur la santé. Les médecins devraient travailler avec les gouvernements pour s’assurer que ces derniers agissent efficacement sur les DSS.
34. L’accès aux soins requiert une vigilance systématique, pour assurer que les conditions appropriées soient remplies, notamment les suivantes.
34.1 Il convient que chacun dispose d’un système de santé adapté, universel, solidaire et équitable, comprenant des établissements bien équipés, disponibles dans tout un pays, qui assure aux centres de soins et aux soignants des financements suffisants et durables et dans lequel les personnes sont soignées selon leurs besoins et non leur capacité financière.
34.2 Le choix devrait inclure la facilité d’accès et les prestataires.
34.3 L’accès aux informations adéquates pour tous est capital pour choisir et coopérer avec les prestataires de soins.
34.4 L’éducation est à la fois un déterminant social et un facteur clé de l’adhésion au traitement qui favorise la responsabilité personnelle avec un soutien accessible.
34.5 Les professionnels de santé devraient pouvoir se déplacer librement dans le monde, notamment pour accéder aux possibilités de formation et d’exercice de leur profession. Cette mobilité ne doit pas entraver la disponibilité des ressources, notamment dans les pays à faibles moyens.
34.6 Il convient de fournir aux médecins des critères éthiques transparents et efficaces pour travailler dans des zones surpeuplées ou mal desservies.
34.7 La délivrance de soins nécessite une action des gouvernements à tous les niveaux, y compris le travail avec les populations afin d’assurer qu’elles comprennent l’intérêt de tels soins et puissent y avoir accès.
34.8 Les médecins ont un rôle important à jouer pour que la planification des soins soit logique sur le plan médical, soit communiquée correctement à la population concernée et que les patients ne soient pas mis en danger en raison de ressources inadéquates, ou d’une planification ou d’un système défaillants.
34.9 Les médecins sont conscients du système de santé existant, ce qui les oblige à jouer un rôle socialement responsable et à être conscients des déterminants sociaux de la santé qui conditionnent l’accès à leurs services ou à ceux de leur association médicale.
34.10 Les associations médicales devraient coopérer avec leurs membres pour promouvoir l’accès aux systèmes de santé répondant équitablement aux besoins des populations.